Retraité résident à l’étranger et domicile fiscal en France
Par Matteo Pogliani
Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 17 juin 2015 sur la détermination du domicile fiscal d’un retraité vivant à l’étranger dans un Etat non lié à la France par une convention fiscale pour éviter les doubles impositions, en estimant que le fait de percevoir une pension de retraite de source française permet d’établir en France le centre de ses intérêts économiques et partant son domicile fiscal, en l’absence d’autres sources de revenus (CE n° 371412 du 17 juin 2015).
La décision du 17 juin 2015 illustre la grille d’analyse que les personnes désireuses de transférer leur résidence fiscale hors de France, notamment dans le cadre de leur départ à la retraite, doivent observer lorsqu’elles revendiquent une résidence fiscale étrangère. A noter que dans l’espèce en question c’est le contribuable qui revendiquait avoir conservé son domicile fiscal en France.
En l’espèce, un retraité vivant au Cambodge et y exerçant des activités bénévoles s’est vu appliquer par l’administration fiscale une retenue à la source sur ses pensions de retraite d’origine française au titre de l’article 182 A du code général des impôts (CGI) applicable aux personnes physiques non domiciliées en France. Ce dernier a demandé la restitution de cette retenue à la source estimant que son domicile fiscal était en France, ses revenus étant exclusivement de source française.
Sous réserve de l’application des conventions fiscales internationales, les critères alternatifs du domicile fiscal sont définis en droit français à l’article 4 B du CGI. Est domiciliée en France toute personne qui y a son foyer ou son lieu de séjour principal, ou qui y exerce une activité professionnelle à titre principal, salariée ou non, ou qui y a le centre de ses intérêts économiques. Pour l’administration fiscale française, la notion de centre des intérêts économiques s’entend en général du lieu où le contribuable effectue ses investissements, du siège de ses affaires ou encore du lieu d’où il administre ses biens. Il peut s’entendre aussi du lieu de ses activités professionnelles ou du lieu d’où il tire la majeure partie de ses revenus.
Dans le cas de l’espèce, le Conseil d’Etat devait s’intéresser à la définition du domicile fiscal au regard du critère du centre des intérêts économiques.
La demande du contribuable retraité a été rejetée par le Tribunal Administratif de Clermont-Ferrand, puis par la Cour Administrative d’Appel de Lyon qui a estimé que le centre de ses intérêts économiques n’était pas situé en France aux motifs que le contribuable effectuait des virements d’une partie de ses revenus au Cambodge, administrait ses comptes depuis l’étranger et que sa pension ne constituait pas une rémunération résultant de l’exploitation d’une activité économique en France.
Le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour et a renvoyé l’affaire devant la Cour Administrative d’Appel de Lyon, en considérant que ces éléments n’étaient pas de nature à établir que le contribuable avait cessé d’avoir en France le centre de ses intérêts économiques, dès lors qu’il n’était pas contesté que les seuls revenus qu’il percevait étaient exclusivement de source française, peu important à cet égard que ces revenus rémunèrent ou non une activité économique.
Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de retenir la perception de retraites, avec d’autres éléments de revenus, dans l’appréciation du centre des intérêts économiques au sens de l’article 4 B du CGI, notamment dans un arrêt du 5 juillet 2010 (n° 303676), dans une espèce où devait être analysée la résidence fiscale d’une personne physique au regard de la convention fiscale conclue entre la France et la Côte d’Ivoire. Conformément à la grille d’analyse devant être suivie dans ce cas, le Conseil d’Etat s’est d’abord prononcé sur la reconnaissance en France du domicile fiscal de l’intéressé au regard du droit interne, avant de régler le conflit de résidence par l’application des critères conventionnels. Le Conseil d’Etat a conclu que le redevable était domicilié fiscalement France car il y avait le centre de ses intérêts économiques en France au sens de l’article 4 B du CGI, en considération du fait qu’il percevait en France sa pension de retraite et des revenus fonciers de source française, alors qu’il ne percevait aucun revenu en Côte d’Ivoire, et alors même qu’il exerçait des fonctions de mandataire social dans ce dernier Etat. En l’espèce, l’application de la convention a conduit le juge a considéré que l’intéressé était résident fiscal de France en raison de sa nationalité française.
La décision du 17 juin 2015 apporte sa contribution à la grille d’analyse à observer de manière précise pour les personnes désireuses de transférer leur résidence fiscale hors de France non seulement dans des pays non liés à la France par une convention fiscale en vue d’éliminer les doubles impositions, mais également dans des pays conventionnés.
En effet, pour les candidats au départ hors de France dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale pour éviter les doubles impositions, la solution radicale pour éviter la contestation de cette résidence étrangère par l’administration fiscale française est de ne remplir aucun des critères prévu à l’article 4 B du CGI. L’examen des critères conventionnels n’est en ce cas pas requis puisqu’il n’y a pas de conflit de résidence fiscale avec l’Etat étranger.
A contrario, si l’un des critères de l’article 4 B est rempli mais que l’intéressé n’est pas considéré comme « résident » de l’Etat d’accueil, la convention fiscale conclu entre la France et cet Etat ne sera pas applicable et l’intéressé sera considéré comme domicilié fiscalement en France au regard du seul article 4 B du CGI. Pour être considéré comme « résident » d’un Etat au sens des conventions, il est en règle générale admis que l’intéressé doit y être soumis à une imposition qui n’est pas limitée aux seuls revenus qui prennent leur source dans cet Etat.
Enfin, si l’intéressé est considéré à la fois comme résident de France au regard de l’article 4 B du CGI et résident de l’autre Etat, le conflit de résidence et la détermination de l’Etat de résidence sera réglée par la convention fiscale applicable au terme d’une analyse factuelle dans laquelle le critère des « liens économiques » sera pris en compte aux côtés d’autres critères.
Il est rappelé qu’en règle générale, dans le cadre des conventions conclues selon le modèle OCDE, l’examen de critères successifs permet d’attribuer à l’un des Etats contractant la résidence fiscale selon la grille d’analyse suivante : il s’agit de l’Etat dans lequel la personne a « un foyer d’habitation permanent », ou, s’il possède un foyer d’habitation permanent dans les deux Etats, l’Etat avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits (soit, « le centre de ses intérêts vitaux » qui relève d’une analyse fondée sur de multiples critères sans hiérarchie entre les liens économiques et personnels) ; si l’Etat dans lequel se trouve le centre de ses intérêts vitaux ne peut être déterminé ou si la personne ne dispose d’un foyer permanent d’habitation dans aucun des deux Etats, il s’agit de l’Etat dans lequel elle séjourne de façon habituelle, ou, si aucun des critères précédant ne permet de déterminer l’Etat de résidence, il s’agit de l’Etat dont le redevable a la nationalité. Si le critère de la nationalité ne peut être déterminant, le conflit de résidence est réglé selon la procédure amiable mise en place par les autorités compétentes.
En conclusion, les retraités candidats au départ hors de France doivent rester vigilants surtout si leur source de revenus est limitée aux retraites de source française qu’ils perçoivent, même si l’Etat dans lequel ils ont élu domicile a conclu avec la France une convention pour éliminer les doubles impositions. En effet, le régime fiscal dont ils bénéficient dans l’Etat d’accueil devra être analysé en détail afin de déterminer s’ils sont bien « résidents » de cet Etat au sens de la convention fiscale en présence, et partant si elle leur est bien applicable. Dans la négative, le risque est que l’administration fiscale considère qu’ils ont conservé leur domicile fiscal en France au regard de l’article 4 B du CGI.