Réforme du droit des contrats : une réforme qui restera !
Après le Mariage pour tous, réforme qui suscita et suscite toujours la division, Mme Taubira laissera à son actif une réforme plus consensuelle, et c’est heureux, car il s’agit précisément de la réforme du droit des contrats. Il s’agit d’un serpent de mer auquel il a été mis fin jeudi 11 février par la publication au Journal Officiel de l’ordonnance n°2016-131 du droit des contrats. Ironie du sort, ce texte d’importance n’a pu être publié que quelques jours après le départ de Mme Taubira de son ministère. Il comporte un grand nombre de modifications du code civil si bien que nous nous contenterons d’en indiquer les principales lignes de force sans entrer à ce stade dans le détail des conséquences sur la pratique du M&A et du private equity.
Une lisibilité renforcée de notre droit contractuel
Cette réforme rend d’abord plus lisible notre droit des contrats en posant clairement dans le Code civil des principes qui reposaient jusqu’alors sur de simples décisions de la Cour de cassation : il s’agit de la jurisprudence sur la rupture des pourparlers contractuels (période se situant avant la signature d’un contrat définitif) que l’on trouve résumée dans l’article 1112 nouveau du code civil (En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu»). Il s’agit encore de la consécration de la jurisprudence sur la réticence dolosive (fait de cacher intentionnellement un fait dont on sait qu’il est déterminant pour l’autre partie) clairement assimilée à un vice du consentement (dol) permettant de demander l’annulation du contrat.
La consécration d’un devoir général d’information et d’un devoir général de bonne foi
Elle consacre également l’existence d’un devoir général d’information de chacune des parties contractantes vis-à-vis de son co-contractant : ce devoir porte sur toute information que l’on connait et dont on sait qu’elle est déterminante pour l’autre partie. Ce devoir d’information est d’ordre public c’est-à-dire que les parties ne peuvent pas y renoncer contractuellement. Il s’agit d’ailleurs de l’une des seules dispositions clairement indiquées comme étant d’ordre public par l’ordonnance avec également le nouvel article 1104 du code civil posant comme principe essentiel que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi .
Cela signifie-t-il que les parties pourront contractuellement renoncer ou modifier tout le reste du bel ordonnancement prévu par les nouveaux articles du code civil ? On peut en douter et la jurisprudence viendra sans doute imposer d’autres gardes fous…
Des promesses contractuelles plus efficaces
Parfois, elle va à l’encontre de positions jurisprudentielles très critiquées par les praticiens : le meilleur exemple nous est donné par le nouvel article 1124 du code civil qui dispose que la révocation d’une promesse unilatérale pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. C’est le contraire de la position de la Cour de cassation notamment en matière de promesse unilatérale immobilière. Il était jusqu’ici possible au promettant de revenir sur sa promesse et ce revirement ne pouvait pas être sanctionné autrement que par l’octroi de dommages et intérêts (on ne pouvait pas « forcer » la main du promettant et lui demander l’exécution du contrat définitif).
Possible adaptation du contrat en cas de circonstances imprévisibles
Dans un environnement économique et géopolitique de plus en plus incertain, enfin, on notera avec intérêt qu’elle consacre la possibilité pour toute partie à un contrat de demander une renégociation du contrat si celui-ci devient excessivement onéreux du fait d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat. Le juge peut non seulement mettre fin au contrat, à la date et aux conditions qu’il fixe, mais également « réviser le contrat ». Cette reconnaissance de ce que les juristes dénomment « théorie de l’imprévision » est une véritable petite révolution pour le si conservateur droit civil qui, depuis une décision de la Cour de cassation de 1876 (Cour de cassation, 6-3-1876 – Canal de Craponne), refusait au juge la possibilité d’intervenir pour adapter un contrat aux circonstances. Le droit public admettait quant à lui l’intervention du juge dans le contrat administratif depuis une décision de 1916 du Conseil d’état (Conseil d’état, 30-03-1916 n°59928 – « Gaz de Bordeaux ») ! Et le droit allemand l’avait admis dès 2002 dans le cadre de sa réforme du droit des obligations…
Entrée en vigueur au 1er octobre 2016
L’ordonnance entre en vigueur au 1er octobre 2016. Cela signifie que l’ensemble des contrats conclus antérieurement à cette date seront soumis à l’ancien code ! Cela promet quelques maux de têtes aux praticiens même si c’était sans doute la seule solution envisageable.
Samuel Schmidt – avocat au barreau de Paris
Texte de l’ordonnance : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032004939&dateTexte=&categorieLien=id