DROIT DES CONCENTRATIONS
Par un arrêt Towercast du 16 mars 2023, (affaire C-449/21) la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de décider que l’existence d’un règlement relatif aux procédures de contrôle des opérations de concentration au plan communautaire n’empêche pas que les opérations, n’ayant pas été notifiées car n’atteignant pas les seuils de chiffre d’affaires déclenchant l’obligation de notifier, soient analysées à posteriori par une autorité de concurrence d’un état membre au titre de l’abus de position dominante, l’acquisition en elle-même étant susceptible de constituer l’abus.
Après l’assouplissement de la pratique des règles du renvoi (article 22 du règlement 139/2004) aux autorités nationales des opérations en dessous des seuils, c’est une deuxième outil juridique majeur de contrôle des opérations de concentration qui ne remplissent pas les seuils de notification. Dans cette affaire la société TDF en position dominante sur le marché des services de diffusion de la TNT avait acquis le contrôle de la société Itas, active dans le même secteur. Itas ayant un chiffre d’affaires modeste, l’opération ne nécessitait pas une notification auprès des autorités françaises et européennes en charge du contrôle des concentrations. Un concurrent du secteur, la société Towercast avait saisi l’Autorité de la Concurrence se plaignant d’un abus de position dominante de TDF, l’abus consistant précisément dans l’acquisition elle-même de Itas en ce qu’elle entravait selon Towercast la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de diffusion de la TNT en renforçant significativement la position de TDF sur ces marchés. L’ADLC ayant refusé de poursuivre la procédure concernée en raison de l’existence du règlement européen sur le contrôle des opérations de concentration et de l’absence d’atteinte des seuils, la Cour d’appel de Paris saisie par Towercast a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice pour savoir si l’existence d’un règlement européen posant un cadre procédural d’examen des opérations de concentration s’opposait à ce qu’une opération non notifiée (car en dessous des seuils de notification prévue par ce règlement) puisse être contrôlée à posteriori au titre des abus de position dominante, l’abus consistant dans l’acquisition elle-même.
S’appuyant sur les dispositions du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) et notamment l’article 102 prévoyant l’interdiction d’abuser d’une position dominante , La Cour rappelle que les dispositions du Traité priment sur celles d’un règlement en se référant notamment à un arrêt célèbre rendu à une époque où le régime du contrôle préalable des opérations de concentration n’existait pas (21 février 1973, Europemballage et Continental Can c/ Commission considérant qu’une acquisition d’entreprise peut constituer un abus quand l’acquéreur est en position dominante), la Cour relève que la liste des abus visée à l’article 102 du Traité n’est pas limitative, et que par conséquent une autorité nationale de concurrence peut légitimement examiner à posteriori si l’acquéreur a par cette acquisition entravé substantiellement la concurrence sur un marché, « le degré de domination atteint ne laissant subsister que des entreprises dépendantes dans leur comportement de l’entreprise dominante ».
C’est donc une nouvelle révolution dans le droit des concentrations qui créée un peu plus d’incertitude sur les risques de remises en cause des opérations de concentration non soumises à une obligation de notification.
Cela concerne uniquement les entreprises qui sont en position dominante et il faut bien réfléchir quand une opération est sensible pour la concurrence à anticiper de la meilleure des manières le risque de remise en cause futur de l’opération.
Pour voir le communiqué de presse dans son intégralité : https://bit.ly/3FAIi0A