Nouveautés en droit des concentrations – Le contrôle de nouvelles opérations de concentration
Le chantier de modernisation du contrôle des opérations de concentrations se poursuit en 2021, tant à l’échelle nationale qu’européenne.
Une revue d’ensemble avait déjà été initiée l’été dernier par l’Autorité de la concurrence avec l’instauration de nouvelles mesures de simplification et de modernisation adoptées par de nouvelles lignes directrices relatives aux contrôles des concentrations[1].
En septembre 2020[2], la Commission européenne annonçait également vouloir modifier sa pratique en acceptant d’examiner les renvois par les autorités nationales de concurrence, des opérations ne devant pas faire l’objet d’une notification tant au niveau national qu’européen dans la mesure où les seuils de chiffres d’affaires ne sont pas atteints, pour un examen dans le cadre de l’article 22 du règlement (CE) n°139-2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (ci-après le « Règlement concentrations »)[3].
L’objectif de ce contrôle sera d’appréhender au mieux les opérations de concentrations dites « prédatrices », dans des secteurs innovants tels que l’économie numérique, l’industrie pharmaceutique ou encore les start-up à fort potentiel concurrentiel, et qui échappaient jusqu’à alors au contrôle des autorités de concurrence nationales ou de la Commission[4].
Selon les autorités de concurrence européenne et française, l’instauration d’une nouvelle application de l’article 22 permettra de combler un manque qui existait jusqu’à alors dans le contrôle des concentrations, mais qui nécessitera un effort d’adaptation et d’anticipation pour les entreprises et leurs conseils.
Lors de son discours, Margrethe Vestager – commissaire européenne à la concurrence – prévenait toutefois que la mise en œuvre de cette nouvelle approche n’interviendrait pas avant le milieu de l’année 2021 et serait précédée par l’adoption d’orientations par la Commission.
Le 26 mars 2021, la Commission a finalement adopté une communication permettant aux autorités nationales, aux entreprises et leurs conseils de mieux appréhender les circonstances dans lesquelles les demandes de renvoi peuvent être acceptées[5] par elle. Ce texte est très important puisque cette nouvelle approche peut contraindre des entreprises à notifier des opérations qu’elles ne notifiaient pas jusque-là. Il est donc essentiel que les entreprises puissent autant que possible anticiper son impact sur la réalisation de leurs opérations de concentration.
Ces orientations sont d’application immédiate et pourront être révisées à tout moment à la lumière de futurs développements, voir même in fine être consolidées dans la Communication sur le renvoi des affaires en matière de concentrations[6].
Ces orientations fournissent des indications (i) sur les critères que la Commission peut prendre en compte pour apprécier les demandes de renvoi et notamment les types opérations pouvant faire de telles demandes et (ii) sur les aspects procéduraux des demandes de renvoi.
(i) Outre des précisions apportées sur l’interprétation des deux conditions cumulatives qui doivent être remplies pour qu’une demande de renvoi soit formulée au titre de l’article 22 (l’opération doit a) affecter le commerce entre États membres et b) menacer d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande), la Commission est venue préciser les autres critères pouvant être pris en compte pour apprécier une demande de renvoi.
A cet égard, la Commission indique que les opérations visées, sans se limiter pour autant à un secteur d’activité en particulier[7], seront celles pour lesquelles le chiffre d’affaires d’au moins une des entreprises concernées à l’opération de concentration ne reflète pas son potentiel concurrentiel actuel ou futur. Elle précise également qu’une opération déjà réalisée pourra, dans certains cas, faire l’objet d’un renvoi (notamment lorsque la demande intervient moins de six mois après sa réalisation mais également, et à titre exceptionnel, au-delà de ce délai lorsque l’opération est susceptible d’être problématique pour la concurrence).
(ii) Sur les aspects procéduraux[8], la Commission souligne sa volonté de communiquer avec les autorités nationales de concurrence, mais également avec les parties à une opération, voir même des tiers, qui pourront à cette occasion fournir des informations suffisantes sur l’opération pour permettre une évaluation préliminaire de la justification d’un renvoi. Des précisions sont données par la Commission sur les délais ; à titre d’exemple, les autorités nationales de concurrence disposeront d’un délai de 15 jours ouvrables après que l’opération aura été portée à leur connaissance pour formuler une demande de renvoi. L’interdiction de réaliser l’opération tant que l’autorisation n’a pas été donnée, telle que prévue à l’article 7 du Règlement concentrations, ne s’applique que si l’opération n’a pas été réalisée à la date où la Commission informe les parties concernées de la demande de renvoi. L’obligation de suspension cesse si la Commission décide par la suite de ne pas examiner la concentration.
Le 26 mars dernier, la Commission a également publié les conclusions de l’évaluation sur les aspects procéduraux et juridictionnels du contrôle des concentrations de l’UE[9] et a décidé de lancer une analyse d’impact jusqu’au 18 juin 2021[10] afin de mieux cibler les entreprises et simplifier davantage les procédures grâce à une révision du règlement concernant la mise en œuvre du règlement sur les concentrations et de la communication relative à une procédure simplifiée.
Michel Ponsard, Malka Marcinkowski et Ophélie Sommé – UGGC Avocats
[1] Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations (23 juillet 2020).
[2] Discours “The future of EU Merger control”, Margrethe Vestager (11 septembre 2020).
[3] JO L 24 du 29.1.2004, p. 1-22.
[4] Par exemple, le rachat de WhatsApp par Facebook en 2014 ou le rachat d’Instagram par Facebook en 2012.
[5] Communication de la Commission – Orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires, Comm. UE, communication, n° C/2021/1959, 26 mars 2021 : JOUE C 113, 31 mars 2021.
[6] Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations (2005/C 56/02).
[7] Cela inclurait, par exemples, les cas où l’entreprise: 1) est une jeune pousse ou un nouvel arrivant qui dispose d’un potentiel concurrentiel substantiel et à laquelle il reste encore à développer ou à mettre en œuvre un modèle d’entreprise générateur de recettes importantes (ou qui se trouve encore en phase initiale de la mise en œuvre d’un tel modèle économique); 2) est un innovateur important ou mène des recherches potentiellement importantes; 3) exerce, de fait ou en puissance, une pression concurrentielle importante; 4) a accès à des actifs (par exemple des matières premières, des infrastructures, des données ou des droits de propriété intellectuelle) importants du point de vue de la concurrence; et/ou 5) fournit des produits ou des services qui constituent des intrants/composants clés pour d’autres secteurs industriels. Dans son appréciation, la Commission peut également tenir compte de ce que la valeur de la contrepartie reçue par le vendeur est ou non particulièrement élevée par rapport au chiffre d’affaires actuel de l’entreprise cible (§ 19 de la Communication de la Commission concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires).
[8] Non exhaustifs.
[9] Document de travail de la Commission sur l’évaluation des aspects procéduraux et juridictionnels du contrôle des concentrations dans l’UE, 26 mars 2021.
[10] Comm. UE, communiqué, 26 mars 2021.