Lutte contre le piratage sportif

08/06/2022

I- Un nouveau cadre juridique

Une nouvelle étape dans la lutte contre le piratage sportif a vu le jour avec la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Cette loi a notamment porté la création, à compter du 1er janvier 2022 d’une nouvelle autorité, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (dite Arcom), issue de la fusion entre la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (ex-HADOPI) et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Les missions de ces deux autorités sont désormais dévolues à l’Arcom qui endosse « une mission de protection des œuvres et des objets auxquels sont attachés un droit d’auteur, un droit voisin ou un droit d’exploitation audiovisuelle mentionné à l’article L. 333-10 du code du sport, à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne »[1].

Cette loi vient modifier certaines dispositions du Code de la propriété intellectuelle, et dote l’Arcom de certains mécanismes de protection et de répression, avec la création d’une « liste noire » de sites contrefaisants[2]et d’un dispositif de lutte contre les « sites miroirs », qui sont les sites « reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu » de sites contrefaisants déjà visés par une décision de justice[3]. Comme mentionné ci-dessus, l’Arcom est également investie d’une mission spécifique de protection des droits d’exploitation audiovisuelle évoqués au nouvel art. L.333-10 du Code du sport, relatifs aux manifestations et compétitions sportives et à leur diffusion sans autorisation par des sites pirates de streaming sportif. La loi du 25 octobre 2021 a instauré une procédure de référé ad hoc que peut intenter le titulaire des droits d’exploitation d’une manifestation ou d’une compétition sportive, afin de prévenir ou de faire cesser une atteinte grave et répétée à ces droits d’exploitation sur Internet[4], notamment sur des sites contrevenants ou miroirs mentionnés ci-dessus, notamment par voie de déréférencement. Les nouvelles dispositions du Code du sport font écho aux nouvelles dispositions du Code de la propriété intellectuelle, et permettent également à l’Arcom d’alimenter une liste noire avec de nouveaux sites miroirs, non identifiés à la date de l’ordonnance de référé[5].

II- Des développements jurisprudentiels

Ces nouvelles dispositions du Code du sport ont été mises en application dans quatre affaires portées devant le Tribunal judiciaire de Paris, qui a rendu des ordonnances de référé en date du 20 janvier, du 28 janvier et du 7 février 2022, respectivement au profit de beIN Sports et Canal+ (deux requêtes individuelles et une requête conjointe des fournisseurs), en application de l’article L.333-10 du Code du sport.

La première affaire[6]opposait la société beIN Sports France à un ensemble de fournisseurs d’accès à Internet français ; beIN Sports, agissant comme demanderesse, exposait l’existence de sites Internet diffusant, de manière illégale, de nombreux matchs de football de la Coupe d’Afrique des Nations pour lesquels beIN disposait de droits exclusifs d’exploitation sur le territoire français. La demanderesse exigeait ainsi des fournisseurs d’accès à Internet mis en cause d’empêcher l’accès à ces sites depuis le territoire français, via un blocage de noms de domaines, pendant toute la durée restante de la compétition, et ce à la charge des défendeurs, avec une astreinte de 15 000 euros par jour de retard et par site.

Le Tribunal judiciaire de Paris s’est fondé sur des constats apportés par la demanderesse, matérialisés par des captures d’écran des sites en question, en vertu desquels il apparaissait clairement, pour chaque nom de domaine visé, que ces sites retransmettaient gratuitement et illégalement une grande quantité de matchs de football d’un certain nombre de compétitions, dont la Coupe d’Afrique des Nations, pour lesquels beIN disposait d’un droit exclusif d’exploitation. En ce que ces sites ont permis aux internautes d’accéder, sans autorisation, à des diffusions de manifestations et compétitions sportives faisant l’objet de droits exclusifs d’exploitation détenus par beIN, le Tribunal a pu caractériser des atteintes graves et répétées à ces droits au sens de l’art. L.333-10 du Code du sport. Le Tribunal judiciaire de Paris a ainsi donné droit à la demande de beIN tendant à ordonner aux défendeurs la mise en œuvre de mesures de blocage des sites pirates (les demandes d’astreinte et de mise à la charge des défendeurs des coûts des mesures ont en revanche été rejetées).

Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance de référé dans le même sens[7]la semaine suivante au profit de la société Canal+, et deux semaines plus tard au terme d’une requête conjointe de Canal+ et beIN dans le cadre de la Ligue des Champions[8]

Ces deux décisions rapprochées, illustrent le nouveau dispositif de protection des titulaires de droits d’exploitation de manifestations sportives, et toutes les stratégies de lutte contre les sites de piratage audiovisuel et sportif, phénomène qui touchait plus de 11 millions d’internautes mensuels et était à l’origine d’un manque à gagner à hauteur de 1,03 milliard d’euros en 2019[9].

Ces perfectionnements et modernisations des procédés de blocage s’inscrivent dans la lignée du dispositif déjà existant en matière de droit d’auteur, figurant à l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle, constituant socle et base solides. A titre d’illustration, nous renvoyons au blocage en 2019[10]d’une cinquantaine de sites contrefaisants des droits d’auteur du groupe Elsevier, éditeur de publications scientifiques (le résumé de l’affaire est consultable en suivant ce lien) suivi d’une nouvelle série de blocages en décembre 2020 (ce lien).

[1]Article 1, 9°) de la loi, portant modification de l’art. L.331-12 du Code de la propriété intellectuelle . Et voir notre article https://www.dalloz-actualite.fr/flash/projet-de-loi-antipiratage-focus-sur-blocage-de-sites-notamment-sportifs#.YN3FNugzYdU

[2]Article 1, 26°) de la loi, portant modification de l’art. L.331-25 du Code de la propriété intellectuelle ; v. JCP G n°1, 10 janvier 2022, 23

[3]Article 1, 26°) de la loi, portant modification de l’art. L.331-27 du Code de la propriété intellectuelle

[4]Article 3 de la loi du 25 octobre 2021, venant ajouter un art. L.333-10 (inter alia) au Code du sport

[5]Délibération n° 2022-03 du 26 janvier 2022 relative aux modalités de communication à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique des données d’identification des services de communication au public en ligne non encore identifiés à la date de l’ordonnance du président du tribunal judiciaire prévue au II de l’article L. 333-10 du code du sport ; v. Légipresse n°400, « Lutte contre le piratage sportif : modalités de communication à l’ARCOM des données d’identification des « sites miroirs », 18/2/2022

[6]TJ Paris, ord. Réf. 20 janvier 2022, N° RG 22/50416

[7]TJ Paris, ord. réf. 28 janvier 2022, n° 22-50583

[8]TJ Patis, 7 février 2022, 22/50582 (Canal+) et n° 22/50584 (beIN)

[9]Hadopi, communiqué de presse, 2 déc. 2020

[10]Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 4e section jugement en la forme des référés, le 7 mars 2019. Décision citée dans Contexte : « Le tribunal judiciaire de Paris a de nouveau été saisi en 2020. Sa décision du 18 décembre, que Contexte publie, vient compléter et clarifier la première. Il ordonne cette fois le blocage pour dix-huit mois de 278 noms de domaines et sous-domaines. Il indique également, de manière inédite, qu’en cas de réactivation d’un nom de domaine pour lequel les mesures de blocage auraient été levées, « les FAI devront rétablir les mesures propres à empêcher l’accès au nom de domaine concerné », sans nouvelle décision du juge, dans un délai de quinze jours après notification des ayants droit et pour la durée restant à courir. », disponible ici. Et voir notre article https://www.dalloz-actualite.fr/flash/projet-de-loi-antipiratage-focus-sur-blocage-de-sites-notamment-sportifs#.YN3FNugzYdU

Par l’équipe droit des médias d’UGGC Avocats