Loi Sapin II : les missions de la nouvelle Agence française anticorruption
Par Cyrille Mayoux
La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « loi Sapin II », renforce incontestablement l’arsenal juridique et opérationnel en matière de lutte, notamment préventive, contre la corruption et, plus généralement, contre la délinquance en col blanc.
Créée par la loi, l’Agence française anticorruption (« l’Agence ») est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget.
Elle est dirigée par un magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire nommé par décret du Président de la République pour une durée de six ans non renouvelable. Dans l’exercice des missions de l’Agence, son directeur « ne reçoit ni ne sollicite d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale » (article 2 de la loi).
Les missions de l’Agence sont multiples puisque celle-ci sera amenée à intervenir :
– tout d’abord pour prévenir et éviter la commission de différents délits (A),
– ensuite, pour sanctionner les manquements constatés (B),
– enfin, pour assister le procureur de la République dans la lutte contre la corruption (C).
A. Une mission d’aide et de contrôle préventifs
La mission première de l’Agence est d’« aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » (article 1er de la loi).
Dans ce cadre, l’Agence :
1. participe à la coordination administrative, centralise et diffuse les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Elle apporte son appui aux administrations de l’Etat, aux collectivités territoriales et à toute personne physique ou morale ;
2. élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Ces recommandations sont :
– adaptées à la taille des entités concernées et à la nature des risques identifiés ;
– régulièrement mises à jour pour prendre en compte l’évolution des pratiques ;
– font l’objet d’un avis publié au Journal officiel ;
3. pratique des contrôles sur :
– la qualité et l’efficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, et des associations et fondations reconnues d’utilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ;
– le respect des mesures préventives de lutte contre la corruption et le trafic d’influence imposées à certaines entités par l’article 17 de la loi (1) ;
Ces contrôles peuvent intervenir :
– à l’initiative de l’Agence ;
– à la demande du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
– à la demande du Premier ministre, des ministres, ou du représentant de l’Etat pour les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les sociétés d’économie mixte ;
– sur la base d’un signalement effectué par une association agréée (2).
Ils peuvent se dérouler au sein des entités contrôlées, au moyen d’entretiens, de communications de documents par l’entité et de vérifications in situ.
4. établit des rapports sur lesdits contrôles, transmis aux autorités qui en sont à l’initiative et aux représentants de l’entité contrôlée. Ces rapports contiennent les observations de l’Agence sur la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption (3) mis en place au sein des entités contrôlées ainsi que des recommandations en vue de l’amélioration des procédures existantes.
5. Élabore un rapport d’activité, annuel et public.
B. Une mission de sanction en cas de manquements
Comme l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Agence intègre une commission des sanctions intervenant en cas de manquements constatés chez les personnes assujetties aux obligations posées par l’article 17 de la loi (4).
L’action de l’Agence doit être engagée dans les trois ans suivant le jour où le manquement a été constaté. A défaut d’acte « tendant à la sanction du manquement » pendant ce délai, l’action se trouve prescrite.
La commission des sanctions est composée de six membres, nommés pour 5 ans et tenus au secret professionnel :
– deux conseillers d’État désignés par le vice-président du Conseil d’État ;
– deux conseillers à la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de cassation ;
– deux conseillers maîtres à la Cour des comptes désignés par le premier président de la Cour des comptes.
Saisie par le Directeur de l’Agence, la commission doit rendre une décision motivée après que la personne mise en cause eut été entendue, a minima convoquée (5).
En cas de condamnation, la commission peut :
1. enjoindre aux sociétés et dirigeants visés par l’article 17 d’adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption ou de trafic d’influence. Cette injonction prend la forme de recommandations dont le délai d’application, fixé par la commission, ne peut excéder trois ans.
2. prononcer une sanction pécuniaire, proportionnée à la gravité des manquements constatés et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée, dont le montant ne peut excéder en tout état de cause 200 000 € pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales.
3. ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’injonction ou de sanction pécuniaire ou d’un extrait de celle-ci, les frais étant supportés par la personne sanctionnée.
C. Une mission auprès du procureur de la République
La loi Sapin II impose plusieurs missions à l’Agence en matière pénale.
Une obligation d’information du procureur – La première obligation de l’Agence, lui impose d’aviser le procureur de la République territorialement compétent « des faits dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit ». En cela, cette obligation rejoint celle, plus générale, posée par l’article 40, alinéa 2, du Code de procédure pénale (6).
Cet avis doit également être transmis au parquet national financier (PNF) lorsque les faits dénoncés sont susceptibles de relever de sa compétence (7).
Une mission de contrôle en cas de signature d’une convention judiciaire d’intérêt public (8) – Cette nouvelle convention, sorte de transaction permettant d’éviter un procès sans reconnaissance préalable de culpabilité, donne plusieurs pouvoirs au parquet, dont celui d’imposer à la personne morale signataire de « se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, à un programme de mise en conformité », ainsi que le prévoit l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale.
Ce programme correspond aux mesures et procédures préventives prévues par l’article 17. II de la loi (9).
Dans ce cas, l’Agence pourra faire intervenir des experts, des personnes ou autorités qualifiées pour l’assister dans la réalisation d’analyses juridiques, financières, fiscales et comptables, les frais étant supportés par la personne morale (10).
Une mission de contrôle dans le cadre de l’application des peines – Il revient en effet à l’Agence de contrôler l’exécution de la peine de mise en conformité prévue par le nouvel article 131-39-2 du code pénal. Cette peine permettra au tribunal d’imposer à la personne morale condamnée la mise en œuvre les mesures et procédures prévues à l’article 17. II de la loi (11).
Pour cette mission, l’Agence pourra également faire intervenir des experts, des personnes ou autorités qualifiées pour l’assister dans la réalisation d’analyses juridiques, financières, fiscales et comptables, les frais étant supportés par la personne morale condamnée (12).
En outre, en vertu de l’article 764-44 du Code de procédure pénale, l’Agence devra :
– rendre compte au procureur de la République, au moins annuellement, de la mise en œuvre de la peine ;
– informer ce dernier de toute difficulté dans l’élaboration ou la mise en œuvre du programme de mise en conformité ;
– lui communiquer un rapport à l’expiration du délai d’exécution de la mesure.
D. Le fonctionnement de l’Agence
Ce fonctionnement est esquissé par la loi, qui renvoie néanmoins à un décret d’application le soin de fixer précisément ses conditions de fonctionnement.
En particulier, le futur décret d’application devra préciser :
– les modalités de désignation des membres de la commission des sanctions, de manière à assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ;
– les conditions de fonctionnement de la commission des sanctions et de récusation de ses membres ;
– les conditions générales de réalisation des missions de prévention prévues à l’article 3 de la loi ;
– les conditions de recrutement les experts et les personnes ou autorités qualifiées auxquels l’Agence pourra recourir ainsi que les règles déontologiques qui leur seront applicables.
En tout état de cause, la procédure contentieuse devant la commission des sanctions devra être formalisée. En l’état, il n’existe rien dans la loi, entre la notification de griefs et la décision de la commission des sanctions. La loi se contente d’indiquer que les recours contre ces décisions sont des recours de pleine juridiction.
Conclusion
La loi Sapin II ne se contente pas d’inviter les personnes physiques et morales potentiellement exposées aux délits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme, à se doter de règles, selon leur bon vouloir.
Elle prévoit les modalités d’accompagnement dans la mise en place des mesures et procédures destinées à moraliser la vie des affaires.
Enfin, la loi fixe les conditions d’application de la coercition étatique, au besoin pénale, afin d’assurer les objectifs qu’elle se fixe en matière de lutte pour la moralisation des affaires.
Ces derniers entreront en vigueur au 1er juin 2017.
(1) Voir le précédent article sur le blog « Loi Sapin II : les mesures anti-corruption à mettre en place au sein de l’entreprise ».
(2) Visée par l’article 2-23 du Code de procédure pénale.
(3) Notons dès à présent que le rapport ne doit porter, selon la loi, que sur le dispositif anti-corruption tandis que les missions de contrôle des entités publiques portent sur d’autres délits que la corruption : le trafic d’influence, la concussion, la prise illégale d’intérêt, le détournement de fonds publics et le favoritisme.
(4) Nous renvoyons le lecteur à l’article sur ce blog « Loi Sapin II : les mesures anti-corruption à mettre en place au sein de l’entreprise » pour connaître le détail des dispositions des obligations.
(5) Le cas échéant par le biais d’une notification de griefs lorsque le Directeur de l’Agence souhaite qu’une sanction pécuniaire soit prononcée contre la personne mise en cause.
(6) « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
(7) Fixée par les articles 705 et 705-1 du Code de procédure pénale.
(8) Cette nouvelle convention, permettant au parquet et à la personne morale mise en cause de « transiger » pour éviter un procès, fera l’objet d’un prochain article.
(9) Voir l’article « Loi Sapin II : les mesures anti-corruption à mettre en place au sein de l’entreprise ».
(10) Dans la limite néanmoins d’un « plafond fixé par la convention ».
(11) Voir l’article « Loi Sapin II : les mesures anti-corruption à mettre en place au sein de l’entreprise ».
(12) Dans la limite néanmoins du « montant de l’amende encourue pour le délit au titre duquel cette peine est prononcée. »