Les pièces essentielles du procès pénal doivent être traduites dans la langue de l’accusé
La loi n° 2013-711 du 5 août 2013 « portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France » a permis d’intégrer dans le corpus juridique français plusieurs textes européens et internationaux, notamment en matière de traite des êtres humains, d’esclavage, d’abus sexuels sur les enfants et de coopération en matière pénale entre les Etats membres.
Un autre domaine, procédural, a également été modifié par cette loi.
Ainsi, le chapitre III de la loi transpose la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.
Précisément, l’article 4 de la loi modifie l’article préliminaire du Code de procédure pénale et y ajoute un article 803-5.
Le III de l’article préliminaire se voit donc adjoindre un nouveau paragraphe au terme duquel :
« Si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code ».
Le nouvel article 803-5 du Code de procédure pénale dispose que :
« Pour l’application du droit d’une personne suspectée ou poursuivie, prévu par le III de l’article préliminaire, à un interprète ou à une traduction, il est fait application du présent article.
S’il existe un doute sur la capacité de la personne suspectée ou poursuivie à comprendre la langue française, l’autorité qui procède à son audition ou devant laquelle cette personne comparaît vérifie que la personne parle et comprend cette langue.
A titre exceptionnel, il peut être effectué une traduction orale ou un résumé oral des pièces essentielles qui doivent lui être remises ou notifiées en application du présent code ».
Le droit à l’interprète est déjà connu du droit positif puisque, à chaque acte de procédure impliquant la présence d’un mis en cause non francophone, ce dernier en bénéficie déjà.
Il est tout de même consacré, dorénavant, au sein de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, lequel pose les principes fondamentaux du procès pénal.
En revanche, le droit, pour la personne « suspectée ou poursuivie » à « la traduction des pièces essentielles à l’exercice de [l]a défense et à la garantie du caractère équitable » est une grande nouveauté.
En outre, sauf renonciation « expresse et éclairée », ces pièces doivent lui être remises ou notifiées, selon les règles du Code de procédure pénale.
Cette véritable avancée des droits de la Défense ne va pas toutefois sans poser questions, juridiques et pratiques.
1. En premier lieu, quelles sont les pièces essentielles de la procédure sinon toutes les pièces, dans la mesure où la défense s’exerce, non seulement sur le fond, mais également par le biais de l’examen du respect de la procédure par les enquêteurs et magistrats ?
A minima, on concevrait difficilement que l’acte de mise en cause officielle devant l’autorité judiciaire ne fasse pas partie des pièces essentielles.
Ainsi, la citation du prévenu devant le Tribunal, lorsqu’elle est faite par un officier de police judiciaire (COPJ) ou par le Parquet (convocation par procès-verbal ou citation par huissier), devrait lui être remise en français et dans sa langue maternelle.
Il en va de même de l’ordonnance de règlement du juge d’instruction (ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel ou ordonnance de mise en accusation) ou des arrêts de renvoi de la Chambre de l’instruction.
Au-delà, il est difficile, a priori, d’établir une frontière étanche et théorique entre les pièces essentielles d’une part, et les pièces accessoires ou secondaires, d’autant plus que le mis en cause n’est pas nécessairement assisté par un avocat (francophone) dans le cadre des procédures pénales[1].
En outre, il importe de préciser que le principe doit être celui de la traduction écrite des pièces puisque les nouvelles dispositions législatives prévoient une remise ou une notification (article préliminaire) au suspect ou au prévenu.
La traduction orale, voire un résumé oral, n’est prévue qu’à titre exceptionnel par l’article 803-5 du Code de procédure pénale.
2. L’exception légale de l’article 803-5 risque-t-elle de devenir le principe pratique, en particulier lorsque le dossier est « confectionné » en temps réel ?
On pense ici immédiatement à la garde-à-vue.
En l’état actuel des moyens de la Justice et des services de police, on imagine mal l’arrivée immédiate de centaines de traducteurs assermentés (dans toutes les langues), se relayant au sein des commissariats et gendarmeries pour traduire par écrit le procès-verbal de saisine, l’expertise médicale ou technique, un procès-verbal d’audition, ou plus généralement, toute pièce essentielle.
3. Les conséquences juridiques de l’absence de traduction des pièces n’étant pas prévues par le texte, il est certain qu’un contentieux va enfler quant à la nullité des actes non traduits, a minima, ou de la procédure elle-même, jusqu’à ce que la Chambre criminelle de la Cour de cassation tranche.
Le nouveau droit offert à la personne accusée[2] est donc une avancée pour l’exercice effectif des droits de la défense dans la perspective d’assurer le caractère équitable du procès pénal, dans un domaine où l’avocat n’est pas obligatoire.
Reste à savoir comment la jurisprudence appliquera ce principe.