Le projet de décret « câble-satellite » : le court-circuit des chaînes thématiques ?
Eprouvées par la pandémie et la concurrence exponentielle des plateformes de streaming, les chaînes thématiques craignent de nouveaux coups durs face à l’arrivée de cette nouvelle règlementation.
Actuellement se clôture une consultation du projet de décret « câble-satellite », ouverte par le ministère de la Culture à la fin du mois de juillet 2021. Le décret projeté fixera les obligations des éditeurs de services de télévision à contribuer au paysage cinématographique et audiovisuel national et européen. Ce projet est complémentaire au décret dit « Smad »[1] publié en juin dernier, qui règlemente les plateformes de vidéo à la demande, et au décret TNT, qui vise les chaînes hertziennes et qui est en cours de finalisation. Ces trois décrets constituent le triptyque de la réforme de modernisation de l’écosystème audiovisuel.
Les chaînes de télévision thématiques [2] voient ce projet de décret d’un mauvais œil, inquiétées par de nouveaux obstacles qui ne feraient que s’ajouter aux difficultés qu’a connu ce modèle économique depuis ces dernières années. Richard Maroko, président de l’Association des Chaînes Conventionnées éditrices de Services (dit ACCeS) [3], a fait part de ses appréhensions auprès de la tribune « Les Echos », craignant la faillite des chaînes thématiques « sous prétexte de l’uniformité » imposée par ce décret.
En effet, dès les années 2010 [4], de nombreuses chaînes ont été contraintes de fermer. L’une des raisons principales était que des distributeurs, à l’image de CanalSat, Numericable et Orange, résistaient à financer une offre déjà amplement diffusée, et ce gratuitement sur les vingt-cinq chaînes de la TNT accessible à tous gratuitement. Puis face à l’émergence des offres de vidéo à la demande par abonnement [5] qui proposent une large sélection de films et séries, les chaînes thématiques se sont fragilisées. Le secteur représente pourtant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires et des milliers d’emplois. A ces complications s’ajoute la crise sanitaire, qui a permis à la vidéo à la demande par abonnement de s’imposer sur le marché audiovisuel, augmentant les obstacles à franchir pour un modèle économique déjà en difficulté. D’autant plus que « les opérateurs ont du mal à facturer leurs bouquets de chaînes payantes et rémunèrent les chaînes de télévision en clair »[6]. Cela a fait perdre « 7% de recettes publicitaires et entre 15 à 20% » des revenus de la distribution en 2020, d’après Richard Maroko.
Le projet de décret « câble-satellite » pourrait ajouter un poids supplémentaire sur les éditeurs de chaînes thématiques. A l’image des chaines hertziennes, les chaînes thématiques devront également contribuer au financement de ces productions [7]. Eric Brion, délégué général de l’ACCeS, rapporte aux « Echos » que ce projet de décret prévoit « un taux de 16% dans l’audiovisuel alors que dans la plupart des cas, les chaînes thématiques sont à 12% compte tenu d’accords avec le monde de la production ». A ses yeux, bien qu’il y ait une exception pour les petites chaînes [8], l’importance de ce taux aura pour conséquence l’engagement de frais supplémentaires de la part des chaînes thématiques, pouvant se révéler dangereux pour celles dont les revenus sont en péril.
Ces obligations d’investissement dans la production cinématographique et audiovisuelle française concerneront également les chaînes thématiques établies à l’étranger. L’association ajoute à ce propos que cette obligation devant être tenue par un plus large groupe de chaînes thématiques, elle aurait pu selon elle permettre à toutes les chaînes thématiques de regagner du terrain et de rendre possible une « diminution du taux global de contribution à la production nationale ».
D’une manière plus concrète, afin de permettre aux chaînes thématiques de trouver leur stabilité, l’ACCeS explique sa demande d’un taux plus faible, d’une simplification du dispositif, et son souhait que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (dit l’Arcom) adapte les obligations des chaînes de télévision en fonction de leurs spécificités afin de garantir un meilleur équilibre dans la part de chacune dans la contribution et la diffusion de la production cinématographique et audiovisuelle. Ainsi, sa demande sur l’exonération des plus petites chaînes thématiques a été notée, mais cela ne concerne pas toutes les chaînes thématiques.
La simplification du décret est également souhaitée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (dit CSA). Bien qu’il salue l’assouplissement de ce décret, le CSA souligne que les nombreuses exceptions énumérées dans le projet de décret « câble-satellite » multiplie le nombre de régimes applicables, élément que les chaînes thématiques aimeraient justement voir se développer pour une meilleure adaptation aux particularités de leurs services. Le CSA soutient que cette complexité pourrait empêcher la mise en œuvre et le contrôle de certaines dispositions proposées par le décret, et des pratiques visant à contourner ses obligations pourraient également se développer.
L’ACCeS s’est entretenu le mardi 7 septembre avec le ministère de la Culture pour discuter de ce texte, qui devrait être préparé pour entrer en vigueur le 1er janvier prochain.
Par IP/IT du cabinet UGGC Avocats
Sources :
communiqué de presse : https://www.acces.tv/wp-content/uploads/2021/09/CP-ACCeS-se-mobilise-contre-le-decret-CabSat_7_09_21.pdf
[1] A ce sujet, voir l’article https://www.uggc.com/decret-smad-consecration-des-obligations-de-financement-pour-les-plateformes-de-video-a-la-demande/
[2] Chaînes de télévision dont l’éventail de programmes cible une thématique donnée ou une catégorie de téléspectateurs précise.
[3] L’ACCeS, association créée en 1997, regroupant une centaine de chaînes payantes comme Disney Channel, Tiji, Mezzo ou encore des chaînes de Canal+. Elle a pour vocation de rassembler l’ensemble des éditeurs de chaînes conventionnées, quels que soient leurs actionnaires, quels que soient leurs distributeurs, afin de défendre leurs intérêts communs, de faire valoir leurs spécificités auprès de l’ensemble des acteurs de la communication afin, notamment, que le cadre juridique et économique dans lequel elles évoluent leur permette de développer durablement leur activité. A ce titre, l’ACCeS est l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, tels que les ministères et les administrations, et duConseil Supérieur de l’Audiovisuel (dit CSA) pour tout ce qui concerne leur environnement législatif et réglementaire et la régulation économique du secteur. Pour en savoir plus, voir https://www.acces.tv/qui-sommes-nous/
[4] En effet, l’ACCeS rapporte aux « Echos » que trente-cinq chaînes thématiques ont fermé depuis 2010.
[5] Dont les plateformes Netflix, Amazon Prime, Disney+, etc.
[6] Voir l’article https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/fronde-des-chaines-thematiques-contre-la-nouvelle-reglementation-1343700
[7] Voir à ce sujet la première section du chapitre II du décret « câble-satellite », qui fixe les dispositions communes des règles de contribution de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. L’article 15 de ce décret élabore une liste des dépenses éligibles à la contribution des productions cinématographiques et audiovisuelles françaises et européennes applicables aux éditeurs de services de télévision.
[8] L’article 13 du décret « câble-satellite » exonère les chaînes de télévision qui ont moins de 5 millions de revenus par an.