L’autoportrait de Monet : erreur sur la substance vs. erreur sur l’objet de la transaction : suite et fin (Civ. 1e, 17 mars 2016, n°14-27.168)
Par Laure Assumpçao
Il aura fallu plus de vingt ans de bataille judiciaire, près de sept décisions de justice dont trois de la Cour suprême[1], pour mettre un terme définitif au litige opposant le vendeur et l’acquéreur d’un tableau à l’effigie du célèbre peintre impressionniste, Claude Monet.
Retour sur les faits. En 1984, la fille d’un ami de Claude Monet, vend pour un montant de 300.000,00 dollars US à une célèbre galerie américaine un tableau non signé représentant un portrait de ce dernier. Le tableau est alors attribué sans conteste à l’artiste américain, John Singer Sargent. Mais un an plus tard, l’acquéreur soulève des doutes sur l’attribution du tableau à Sargent. Le portrait de Monet serait en réalité de la main d’un peintre de moindre renommée, Charles Giron. La galerie américaine intente alors une action en nullité de la vente pour erreur sur la substance à l’encontre de sa venderesse. Le litige fait finalement l’objet d’une transaction, au titre de laquelle la venderesse rembourse la moitié du prix de vente à l’acquéreur moyennant quoi ce dernier confirme irrémédiablement la vente, renonçant ce faisant à son action en nullité.
Le litige aurait alors pu s’arrêter là. Sauf que, lors de la réédition du catalogue raisonné de Claude Monet – publié par nul autre que la galerie américaine, acquéreur du portrait – le tableau ne figure plus comme attribué à Sargent mais comme un autoportrait de la main du maître de l’impressionnisme. C’est alors au tour de la venderesse initiale d’intenter une action en nullité de la transaction et de la vente à l’encontre de son acquéreur, invoquant entre autres moyens une erreur ayant vicié son consentement et justifiant la nullité de la transaction et de la vente[2].
Par un premier arrêt confirmatif[3] du 6 septembre 2005[4], la Cour d’appel de Paris a débouté la venderesse de toutes ses demandes. La Cour a en effet estimé que si la vente avait été contractée par les parties dans la conviction que l’œuvre était de Sargent, elles avaient fait entrer un doute sur la paternité de l’œuvre par la transaction intervenue. Les juges d’appel avaient fait là une application du principe selon lequel « l’aléa chasse l’erreur » consacré par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt du Verrou de Fragonard[5] :
« Qu’ayant ainsi accepté un aléa sur l’auteur du tableau objet de la vente, Mme Howard Johnston n’est pas fondée à prétendre qu’elle a contracté dans la conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être de la main de Claude MONET, de sorte que son consentement aurait été donné par erreur lors de la transaction ; qu’en effet l’attribution à ce peintre de l’œuvre litigieuse intervenue postérieurement n’était en rien exclue et elle n’apporte aucun élément permettant de retenir qu’elle avait la conviction que ce peintre ne pouvait en être l’auteur ».
La Cour de cassation a censuré la Cour d’appel par un arrêt du 28 mars 2008[6], au visa des anciens articles 1109 et 1110 du code civil[7] relatifs à l’erreur, estimant « qu’en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi la réduction du prix n’était pas exclusive de l’attribution possible du tableau à un peintre d’une notoriété plus grande que celle de Sargent, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. ».
Ce faisant, la Cour suprême reprochait aux juges d’appel de ne pas s’être interrogés sur la question de savoir si les parties n’avaient pas conclu la transaction dans la conviction erronée que l’œuvre ne pouvait pas être de Monet. Dès lors, le décalage entre cette conviction (l’œuvre ne peut pas être de Monet) et la réalité (l’œuvre est potentiellement de Monet) pourrait, selon la Cour, justifier l’annulation de la transaction et de la vente initiale. Si les parties avaient effectivement fait entrer un aléa dans le champ contractuel (la possible attribution à Sargent), elles n’avaient toutefois pas prévu que l’œuvre puisse être d’un artiste de renommée supérieure à ce dernier.
La Cour d’appel de Paris[8], saisie sur renvoi, a suivi le raisonnement auquel l’invitait la Cour de cassation sur la question de l’erreur ayant affectée à la fois la vente et la transaction. Dans la mesure où « à aucun moment, une attribution plus prestigieuse que celle de Sargent n’a été envisagée », la Cour d’appel de Paris a estimé que le consentement de la venderesse à la vente initiale et à la transaction successive avait été vicié par erreur, et notamment, s’agissant de la transaction, dès lors que :
« l’aléa accepté par Mme Howard Johnston et qui se situait dans le champ de la transaction était limité ; que seule l’attribution du tableau à Sargent ou à un petit maître notamment Giron était dans le débat ; […] que Mme Howard Johnston n’a, à aucun moment, imaginé que le tableau pouvait être d’un peintre d’une plus grande notoriété que Sargent et a fortiori de Claude Monet ; qu’il importe peu que désormais, il subsiste un doute sur la paternité de l’œuvre attribuée à Monet ; […] que la diminution de prix accepté par cette dernière dans le cadre de la transaction suffit à le démontrer ; qu’elle n’aurait pas révisé ce prix si elle avait pu croire que l’œuvre était de la main de Monet dont la côte était largement supérieure à celle d’un petit maître ou même de Sargent ; […] qu’il en résulte qu’il y a eu une erreur sur l’objet de la contestation ».
La Cour d’appel a donc prononcé la nullité de la vente initiale. Elle a toutefois refusé de rescinder la transaction pour erreur « sur l’objet de la contestation », sur le fondement de l’ancien article 2053 du code civil[9], nonobstant la validité de l’argument, faute pour l’appelante d’avoir repris ces demandes au dispositif de ses conclusions comme l’y contraint l’article 954 du code de procédure civile.
La venderesse a alors saisi la Cour de cassation d’un second pourvoi sur le fond de l’affaire. Dans un arrêt du 17 mars 2016[10], la Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d’appel, lui substituant toutefois le motif de pur droit suivant :
« Mais attendu que, selon l’article 2052, les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort et ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion ; que l’arrêt constate que, par leur transaction, les parties ont irrévocablement confirmé la vente du tableau litigieux et se sont désistées de toutes instances et actions relatives à celui-ci ; qu’il en résulte que l’annulation ultérieure de cette vente n’est pas de nature à fonder l’annulation de la transaction. »
Et ajoutant que : l’ « erreur sur l’objet de la contestation […] ne se confond pas avec les qualités substantielles de l’œuvre vendue susceptible d’entraîner la nullité de la vente, et que l’objet de la contestation, à laquelle a mis fin la transaction validant irrévocablement la vente du tableau, sans en définir l’auteur, […] ne se confond pas davantage avec la vente elle-même ».
Ce faisant, la Cour, refusant d’assimiler l’erreur sur la substance (des anciens articles 1109 et 1110 du code civil) et l’erreur sur l’objet de la contestation (de l’ancien article 2053 du même code), a considéré, contrairement à la Cour d’appel, qu’en dépit de l’erreur commise lors de la vente initiale, aucune erreur n’avait été commise lors de la conclusion de la transaction. Elle a donc fait pleinement jouer l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction.
Dans la mesure où la Cour d’appel, non contredite par la Cour de cassation, estimait que la transaction intervenue était valable (dès lors que la demande en nullité de la transaction n’avait pas été formulée par l’appelante), on peut s’étonner que les deux juridictions se soient alors interrogées sur la validité de la vente initiale que la transaction était venue confirmer. L’autorité de la chose jugée attachée à la transaction aurait normalement dû les y en empêcher.[11]
On notera que la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016[12], en abrogeant l’article 2053 du code civil, a aligné le régime de la nullité pour erreur d’une transaction sur celui du droit commun des contrats, de sorte qu’il n’y a plus lieu de distinguer la substance de l’erreur commise dans le cadre d’une vente ou d’une transaction. Reste que, sous l’empire de la réforme, l’appelante n’aurait néanmoins pas été dispensée de formuler deux demandes distinctes de nullité de la transaction, d’une part, et de nullité de la vente, d’autre part.
[1] La 1e saisine de la cour de cassation (Civ.2e, 20 déc. 2001, n°00-20.118) portait sur une question de pure procédure (appel d’un jugement statuant sur une fin de non-recevoir ne pouvant faire l’objet d’un appel dissocié de l’appel du jugement au fond), le pourvoi a été rejeté.
[2] NB : la demande en annulation pour dol de la demanderesse à l’encontre de l’acquéreur, dont la première action aurait constitué des manœuvres tendant à la convaincre que l’œuvre ne pouvait pas être de Sargent (et éludant ce faisant la possible paternité à Monet), a également été rejeté, faute pour elle de rapporter la preuve des manœuvres alléguées (notamment en raison du fait que c’est l’acquéreur qui avait été à l’initiative de la première action en nullité, acceptant ce faisant de restituer l’œuvre à la venderesse moyennant le remboursement du prix).
[3] TGI Paris, 10 févr. 2004, RG n°97/06835.
[4] Paris, 6 sept. 2005, RG n°04/12926.
[5] Civ.1e, 24 mars 1987, n°85-15.736.
[6] Civ. 1e, 28 mars 2008, n°06-10.715.
[7] Articles 1130 et 1132 nouveaux du code civil.
[8] Paris, 15 oct. 2014, n°12/20653.
[9] Abrogé par la Loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, art. 10.
[10] Civ. 1e, 17 mars 2016, n°14-27.168.
[11] Voir not., L. Mayer, « L’incidence d’une transaction sur les effets de l’annulation de la vente qui en constituait l’objet : une question qui n’aurait pas dû être posée », D. 2016, p.1231.
[12] Loi n°2016-1547 précitée.