La « SuperLeague » : est-elle conforme au droit européen de la concurrence ?
Après la polémique sur les effets anticoncurrentiels du fair-play financier en 2014[1]., le droit de la concurrence vient à nouveau s’immiscer dans le monde du football européen.
Le 18 avril dernier, a été annoncée la création d’une très controversée SuperLeague, concurrente de la Ligue des Champions organisée par l’UEFA (Union des associations européennes de football), comprenant douze des principaux clubs européens (que sont le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Atlético de Madrid, la Juventus Turin, l’AC Milan, l’Inter Milan, Liverpool, Manchester United, Manchester City, Chelsea, Tottenham et Arsenal).
Pour rappel, l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prohibe « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ».
En conséquence, la légalité de la création de la SuperLeague interpelle au regard du droit européen de la concurrence, dans la mesure où celle-ci impliquera pour les clubs fondateurs, considérés comme des entreprises, de conclure un accord pouvant entraîner des restrictions de concurrence à l’égard des autres clubs non invités dans cette compétition privée. Cette création aurait pour effet, comme le revendiquent ses représentants, d’augmenter le bénéfice des droits audiovisuels et publicitaires découlant du nombre restreint de participants.
La SuperLeague projette en effet de réunir vingt équipes, comprenant les quinze clubs fondateurs dont la participation sera garantie année après année et les places restantes seront déterminées par un mécanisme de qualification basé sur les performances des équipes au cours de la saison précédente.
Or la création d’un regroupement d’entreprises concurrentes, qui devient un vecteur important d’accès au marché, n’est envisageable que si l’accès à cette structure commune est organisé de manière non discriminatoire et ne favorise pas des concertations de stratégies commerciales sur le marché.
Cette compétition « fermée » pourrait ainsi entraîner une diminution importante de la concurrence à l’égard des clubs non membres en créant un marché protégé, n’autorisant l’accès de la SuperLeague qu’à un nombre très limité d’autres clubs européens. Bénéficiant d’une attractivité publicitaire et médiatique beaucoup plus importante, ils auraient de ce fait des moyens beaucoup plus importants pour acheter des joueurs et attirer tous les diffuseurs et annonceurs vers eux.
En riposte, l’UEFA annonce vouloir bannir les clubs participants de toute compétition nationale et européenne et d’interdire également aux joueurs qui y participeront de représenter leurs équipes nationales.
Cependant, cette interdiction pourrait là encore poser des questions au regard du droit de la concurrence, la SuperLeague considère en effet que ces menaces sont illégales et s’appuie notamment sur une récente décision rendue par le Tribunal de l’Union européenne interdisant à l’Union internationale de patinage d’empêcher les patineurs de vitesse de participer à une compétition organisée par une société tierce et considérant que cette atteinte était disproportionnée au regard des objectifs poursuivis[2].
Les créateurs de la SuperLeague planifiaient de commencer la saison prochaine, mais face aux récents désistements des clubs anglais et d’autres à venir, le projet semble aujourd’hui compromis. En tout état de cause, si la SuperLeague venait à voir le jour un combat juridique s’engagerait et il reviendrait aux instances européennes de concurrence de se prononcer sur l’existence d’effets anticoncurrentiels d’une telle compétition.
Article rédigé par Michel Ponsard, Malka Marcinkowski et Ophélie Sommé – UGGC Avocats
[1] Foot : le fair-play financier est-il conforme au droit européen? –Libération
[2] Trib. UE, 16 déc. 2020, aff. T‑93/18, International Skating Union c/ Commission européenne, ECLI:EU:T:2020:610. À noter qu’un pourvoi est en cours devant la Cour de justice de l’Union européenne.