Et si l’expertise votée par le CSHCT n’était pas justifiée ?
Par Danièle Claus et Sophie Uettwiller
L’article L.4614-12 du code du travail fixe les deux seules hypothèses dans lesquelles un CHSCT peut faire appel à un expert agréé, à savoir :
- En cas d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène ou de sécurité ou les conditions de travail et notamment transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, de modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ;
- « Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ».
Certains CHSCT ont une appréciation particulièrement large du projet important ou du risque grave… ce qui peut conduire l’employeur à saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour contester la nécessité de l’expertise.
La notion de projet important
La contestation éventuelle par l’employeur concernant le recours à l’expertise peut concerner le point de savoir si le projet litigieux revêt ou pas, le caractère de projet important.
L’étude de la jurisprudence démontre que l’importance du projet est appréciée en fonction des modifications apportées aux conditions de travail, définies par la circulaire du 25 mars 1993 comme concernant les domaines suivants :
- L’organisation matérielle du travail (charge de travail, rythme, pénibilité des tâches, élargissement et enrichissement des tâches) ;
- L’environnement physique du travail (température, éclairage, aération, bruit, poussière, vibrations) ;
- L’aménagement des postes de travail ;
- L’aménagement des lieux de travail et leurs annexes ;
- La durée et les horaires de travail ;
- L’aménagement du temps de travail (travail de nuit, travail posté).
Ont ainsi pu être qualifiés d’importants un «projet de « redéfinition et harmonisation » de l’organisation de l’astreinte(…) [qui] comportait notamment l’augmentation du nombre des périodes d’astreintes » et ce alors que « le médecin du travail avait souligné les risques entraînés par la modification des conditions de travail »[1], ou encore un « projet d’extension du périmètre d’action des cinq remiseurs-dégareurs (de la SNCF) [qui] modifiait de façon significative les tâches et l’organisation et les cadences de travail (de 20 à 60 jours de travail) ce dont il résultait que le projet était important »[2].
La Cour de cassation a validé la nature de projet important justifiant une expertise en relevant que « le médecin du travail avait rappelé que le travail posté était en soi perturbateur des rythmes biologiques, … en a exactement conclu que les conditions posées par l’article L.236-9 du Code du travail qui permet au CHSCT de recourir à une expertise étaient réunies »[3].
Plus récemment, dans la recherche de la qualification de l’importance du projet, la Cour de cassation a, si ce n’est abandonné, au moins réduit la portée du critère du nombre de salariés concernés : «Mais attendu que si le nombre de salariés concernés ne détermine pas, à lui seul, l’importance du projet, la cour d’appel, qui a constaté, en l’espèce, que le projet en cause n’était pas de nature à modifier les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail, a pu statuer comme elle l’a fait… »[4]
La définition du risque grave
C’est au CHSCT qu’il incombe de rapporter la preuve du risque grave qu’il invoque.
La cour d’appel de Paris[5] a jugé que :
« Le CHSCT ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’existence d’un risque grave, qu’en outre n’est pas pertinente la seule énonciation des risques génériques encourus par les salariés chargés des activités de maintenance et d’exploitation d’un réseau d’eau, qu’en outre la comparaison des statistiques concernant les accidents du travail des salariés intervenants sur l’ensemble des sites pour les années 1998 à 2000 …et les circonstances de leur survenance telles que relatée dans les tableaux versés aux débats ne caractérisent pas le risque grave exigé par l’article L.236-9 précités ».
Par ordonnance rendue le 9 juillet 2009, le tribunal de grande instance de Paris a annulé une expertise fondée sur les risques psychosociaux en relevant que :
« Les conclusions en défense du CHSCT, tout comme le texte de la convention proposée par le cabinet Emergences, ne visent, à posteriori, que des risques génériques encourus par les salariés travaillant dans l’hôtellerie restauration. Le CHSCT défendeur de démontre ni l’existence de faits précis caractérisant une situation de tension forte et constant, susceptible de générer chez un ou plusieurs salariés, identifiés ou identifiables, des troubles voire des possibilités sérieuses de préjudice, ni l’existence d’un risque présentant un caractère aigu et reposant sur des éléments objectifs patents »
La Cour de cassation[6] considère que le risque grave propre à justifier le recours à l’expertise du CHSCT s’entend d’un risque identifié et actuel, ce qui a été considéré comme constitué par le constat
« que l’alourdissement de la charge de travail consécutif à des réductions d’effectifs et à l’ouverture de nouvelles agences, ainsi que les modifications profondes dans l’organisation du travail liées à la mise en place d’un nouveau système informatique avaient d’importantes répercussions sur l’état de santé des salariés caractérisées par une augmentation sensibles des absences au travail, des situations de stress et des syndromes dépressifs … ».
Elle a également validé l’arrêt d’appel ayant déduit que :
« Les fusions d’entités, les fermetures de sites, les transferts d’activité menées deux années auparavant avaient abouti à une compression des effectifs et obligé à des déménagements nombreux, à la disparition de certains emplois sans soutien pour les salariés démunis de tout travail, à une aggravation des conditions de travail et à l’apparition d’un stress sur le site concerné, lié aux évolutions permanentes de l’organisation de l’entreprise, que les attestations des représentants du personnel établissaient l’existence d’un ressenti des salariés ou d’une situation objectivement dangereuse pour l’équilibre de leur santé mentale.. »[7]
Dès lors que les conditions de recours à une expertise seraient remplies, le CHSCT est libre de recourir à l’expert de son choix[8], sans veto possible par l’employeur dès lors que l’expert est choisi parmi une liste établie par arrêté ministériel d’experts « agréés ».
Au contraire, si l’expertise CHSCT est contestable, le Président du CHSCT devrait formuler toutes réserves lors de la réunion de CHSCT au cours de laquelle a lieu le vote… et appeler les avocats d’UGGC !
[1] Cass. Soc., 12 décembre 2001, n°99-18980
[2] Cass. Soc., 16 septembre 2005, n°07-18754
[3] Cass. Soc., 24 octobre 2000, 98-18240
[4] Cass. Soc., 10 février 2010, n°08-15086
[5] Cour d’appel de Paris, 14B, aff CHSCT / Vivendi Universal, 6 juillet 2001
[6] Cass, Soc, 26 janvier 2012, n°10-12183
[7] Cass, Soc, 2 mars 2011, n°09-11545 Société France Télécom Issy Les Moulineaux / CHSCT
[8] Cass. Soc., 8 juillet 2009, n°08-16.676 : le CHSCT est seul juge du choix de l’expert, du moment qu’il s’adresse à un cabinet disposant d’un agrément ministériel dans les domaines de la santé, de la sécurité au travail et de l’organisation du travail. C’est donc à tort qu’un juge des référés a donné raison à la SNCF qui contestait la désignation d’un cabinet non spécialisé dans le secteur ferroviaire.