Droit de propriété intellectuelle des éditeurs de presse en ligne et sanction contre Google : le bras de fer continue
Décision AC, 21-D-17, 12 juillet 2021
Estimant que Google avait manqué à certaines des injonctions dirigées contre elles, l’autorité de la concurrence lui a infligé le 12 juillet 2021 une amende record de 500 millions d’euros, en lien avec la question de la rémunération de la presse en ligne. Une mesure d’astreinte est également prononcée : elle prévoit une pénalité maximale de 900 000 euros par jour de retard si, au bout de deux mois à compter de la décision, la firme n’avait toujours pas présenté (i) une offre de rémunération pour les utilisations actuelles des contenus protégés des éditeurs et agences de presse [1] et (ii) communiqué les informations nécessaires à l’évaluation d’une telle offre [2].
Le bras de fer continue autour de la rémunération par Google des éditeurs et agences de presse, bénéficiaires d’un récent droit voisin d’origine européenne [3], pour l’utilisation en ligne de leurs contenus protégés. L’objectif de ce droit voisin, transposé en droit français dès 2019 [4] aux articles L.218-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, consiste à mettre en place les conditions d’une négociation équilibrée entre éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne. A ce titre, la loi impose à ces derniers d’obtenir l’autorisation préalable de l’éditeur ou de l’agence de presse avant de procéder à toute reproduction ou communication au public en ligne, totale ou partielle, de leurs publications de presse. Cette autorisation peut prendre la forme d’une cession ou d’une licence et s’accompagner d’une rémunération.
Les tensions s’étaient cristallisées suite au prononcé de sept mesures conservatoires, impératives, dirigées le 9 avril 2020 par l’Autorité de la concurrence contre Google [5], à la demande du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), de l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) et de l’Agence France Presse (AFP) ; lesquels regroupent la très grande majorité des éditeurs et d’agences de presse. Cette décision, confirmée par la Cour d’appel de Paris [6], faisait grief à Google d’avoir porté une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse et ainsi constitué un abus de position dominante : la firme avait en effet manqué à son obligation de négocier de bonne foi, en décidant unilatéralement de ne plus afficher les extraits d’articles, photographies et vidéos au sein de ses services (GoogleSearch, GoogleNews, Discover…), sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l’autorisation à titre gratuit.
Estimant que Google ne respectait pas les mesures conservatoires décidées, les acteurs précités saisissent l’Autorité les 30 aout 2020 et 2 septembre 2020. La décision du 12 juillet 2021 qui s’ensuit confirme les manquements pour 4 des injonctions :
(i) non-respect de l’obligation de négociation de bonne foi ; d’une part, Google a exclu du champ des négociations les éditeurs ou agences de presse ne disposant pas d’une qualification dite « information politique et générale » alors que la loi ne les distingue pas. Dès lors, étaient exclus de fait les médias d’information sportive ou de divertissement… D’autre part, Google a lié les négociations sur la rémunération des droits voisins au titre des utilisations actuelles et celles sur la rémunération de nouveaux partenariats comme Showcase : elle a en effet, conditionné l’accès au programme Showcase, programme au fort impact sur la visibilité des contenus des ayant-droits et donc de nature à les inciter à y adhérer, à leur acceptation d’une rémunération globale incluant d’autres droits, et non-spécifique pour les utilisations actuelles des contenus protégés telle que prévue par la loi. Enfin, Google n’a pris en compte que les revenus directs, c’est-à-dire les publicités présentes sur les pages GoogleSearch, et non les revenus indirects comme la présence des contenus protégés sur les pages GoogleNews ou Discover, alors que ces contenus contribuent à l’attractivité de ses services.
(ii) non-respect de l’obligation de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à L. 218-4 (leur permettant de connaitre les éléments sur lesquels se fonde la rémunération si elle n’est pas fixée forfaitairement) ; les informations transmises par Google avaient un champ trop restreint en ce qu’elles ne concernaient que les services GoogleSearch et non GoogleNews ou Discover. Aussi étaient-elles insuffisantes pour faire le lien entre l’utilisation des contenus, les revenus générés et la rémunération proposée.
(iii) non-respect de l’obligation de neutralité des obligations relatives aux droits voisins sur toute autre relation économique qu’entretiendrait Google avec les éditeurs et agences de presse ;
(iv) non-respect de l’obligation de neutralité sur la façon dont sont indexés, classés et, plus généralement, présentés les contenus présentés sur ses services.
Rappelant que le non-respect d’une injonction est, selon une jurisprudence constante de la cour d’appel de Paris, « en soi, une pratique d’une gravité exceptionnelle » [7], l’Autorité s’applique à juger in concreto de la gravité et ampleur du manquement, en tenant compte des caractéristiques des pratiques mises en œuvre, de leur durée, connaissance du caractère illicite. Si l’Autorité estime que « le comportement de Google relève d’une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect », tel n’est pas l’avis du contrevenant qui assure avoir agi « de bonne foi pendant toute la période des négociations » et regrette une amende dont il affirme qu’elle « ne reflète pas les efforts mis en place, ni la réalité de l’utilisation des contenus d’actualité sur notre plate-forme » [8].
Google est désormais tenue de proposer une offre de rémunération et de fournir en toute transparence les éléments permettant de la calculer, ce dans les deux mois sauf à se voir infliger une lourde astreinte. La firme a un mois à compter du rendu de la décision pour choisir d’interjeter appel devant la cour d’appel de Paris [9].
Par Adrien Rouleau pour l’équipe IP/IT du cabinet UGGC Avocats
[1] Conformément aux articles L. 218-1 s. du Code de la propriété intellectuelle
[2] Conformément à l’article L. 218-4 s. du Code de la propriété intellectuelle
[3] Article 15 de la Directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique
[4] Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019.
[5] Décision n°20-MC-01 du 9 avril 2020
[6] Cour d’appel de Paris, 8 oct. 2020, n°20/08071
[7] Arrêt de la cour d’appel de Paris, 21 février 2006, nº 2005/14774 – V. AC, 21-D-17, 12 juillet 2021, paragraphe 523
[8] https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/13/droits-voisins-le-gendarme-francais-de-la-concurrence-impose-une-amende-de-500-millions-d-euros-a-google_6088120_3234.html
[9] Article L. 464-8 du Code de commerce