Contrats d’exploitation des terminaux portuaires : précisions réglementaires
Par Benjamin de Sevin
Rapide aperçu du décret n°2020-1559 du 9 décembre 2020 relatif à l’exploitation des terminaux des grands ports maritimes, qui tire les conséquences du nouveau cadre juridique applicable à l’exploitation des terminaux portuaires résultant de la loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.
1.- La loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a consacré plusieurs dispositions à l’exploitation des terminaux des grands ports maritimes (GPM)[1].
Cherchant à améliorer la compétitivité des GPM, le législateur a, d’une part, tenté de clarifier la nature des contrats portant sur l’exploitation des terminaux portuaires en posant qu’il doit en principe s’agir de conventions de terminal, constituant de simples conventions d’occupation du domaine public régies par le code de la propriété des personnes publiques (CGPPP) et que, par exception, lorsqu’ils ont pour objet de répondre aux besoins spécifiques du GPM, ces contrats doivent prendre la forme de concessions de services ou de travaux[2].
D’autre part, la LOM a adapté le régime de ces deux catégories de contrats aux spécificités de l’exploitation des terminaux, afin notamment d’y favoriser l’investissement.
2.- Le Gouvernement vient d’adopter un décret n° 2020-1559 du 9 décembre 2020 relatif à l’exploitation des terminaux des grands ports maritimes,qui tire les conséquences, au niveau réglementaire, de ces modifications législatives, en refondant la sous-section du code des transports relative aux terminaux des GPM[3].
Voici un rapide aperçu des principaux apports de ce décret.
3.- Choix entre convention de terminal et concession – Le nouvel article R. 5312-83 du code des transports reprend la summa divisio désormais imposée aux GPM par l’article L. 5312-14-1 dudit code pour l’exploitation de leurs terminaux : convention de terminal ou, lorsqu’il s’agit de répondre à un besoin du GPM, contrat de concession.
On sait toutefois que si l’intention du législateur était de limiter les cas où une concession s’imposerait, cette initiative était largement vaine puisque la qualification en concession découle de la directive 2014/24/UE relative aux contrats de concession et que la notion de réponse à un besoin, qui constitue l’une des composantes de cette qualification, reçoit une interprétation large en jurisprudence.
Le choix entre ces deux formes contractuelles, désormais rappelé par l’article R. 5312-83 du code des transports, dépendra donc avant tout du contenu des obligations contractuelles pesant sur le titulaire du contrat, qui ne devront pas révéler la réponse à un besoin spécifique du port[4].
En réalité, on retrouve ici la grille d’analyse traditionnelle quant à la distinction entre contrats de la commande publique et simples conventions d’occupation domaniale.
4.- Définition de la notion de terminal – La notion de terminal n’était jusqu’à présent pas réellement définie par les textes. Le nouvel article R. 5312-83 du code des transports y pourvoie désormais : « Pour l’application de l’article L. 5312-14-1, un terminal comprend tout ou partie des outillages et des aménagements nécessaires à l’ensemble des opérations de débarquement, d’embarquement, de manutention et de stockage liées aux navires ».
Pas de réelle innovation sur le fond car cette définition transparaissait déjà de plusieurs dispositions du code des transports, notamment celles qui définissaient l’objet et le contenu des conventions de terminal dans des termes similaires[5].
L’apport de cette définition semble donc plutôt se situer au niveau de sa portée : il s’agit désormais de circonscrire le champ des contrats qui pourront bénéficier des assouplissements du régime des conventions d’occupation du domaine public (conventions de terminal) ou des concessions, prévus à l’article L. 5312-14-1.
En effet, si le terme de « terminal » n’est utilisé à l’article L. 5312-14-1 du code des transports qu’au sein du syntagme « convention de terminal », ces dispositions ont bien pour objet de régir, comme le rappelle désormais l’article R. 5312-83 du code des transports, les contrats portant sur l’exploitation des terminaux des GPM. Il fallait donc définir cet objet principal.
La contrainte résultant de cette définition parait cependant limitée tant elle est ouverte : non seulement elle n’exige pas de spécialisation par type de trafic, mais elle envisage en outre la répartition des outillages et des aménagements au sein de plusieurs contrats (« tout ou partie »).
Précisons que si la possibilité d’inclure dans l’objet de la convention la réalisation de quais ou d’appontements pour le terminal n’est plus expressément prévue, elle ne nous parait pas pour autant remise en cause, dès lors que leur réalisation reste l’accessoire de l’exploitation du terminal.
5.- Modalités de conclusion des conventions de terminal – L’article L. 5312-14-1 du code des transports soumet les conventions de terminal aux dispositions du CGPPP relatives à l’utilisation du domaine public. L’article R. 5312-84 du code des transports précise désormais que ces conventions sont conclues conformément aux articles L. 2122-1 à L. 2122-4 du CGPPP, ce qui renvoie notamment, dès lors que l’exploitation d’un terminal constitue une activité économique, à l’obligation pour les GPM d’organiser « une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester »[6].
Cette obligation n’est pas fondamentalement différente de celle, prévue auparavant, d’organiser une « procédure ouverte, transparente et non discriminatoire »[7]. Le renvoi au CGPPP présente néanmoins l’avantage d’offrir un régime complet, comportant notamment des exceptions et organisant la manière de traiter les manifestations d’intérêt spontanées que peuvent formuler des opérateurs.
6.- Régime supplétif d’information sur le sort des ouvrages à l’issue des conventions de terminal – Le I. de l’article L. 5312-14-1 du code des transports permet aux parties à une convention de terminal de prévoir, à son échéance, l’indemnisation du retour au GPM des biens immobiliers réalisés pour l’exercice de l’activité autorisée ou l’acquisition des biens meubles, corporels ou incorporels, liés à cette activité, afin notamment de les mettre à disposition ou de les céder à un nouveau cocontractant[8].
Ces dispositions dérogent aux articles L. 2122-9 et L. 2122-14 du CGPPP, qui prévoient que lorsque les ouvrages ne sont pas démolis à la fin normale de l’occupation du domaine public (soit parce que le titre le prévoit, soit parce que le GPM renonce à cette démolition), ils deviennent de plein droit et gratuitement la propriété du GPM.
Le nouvel article R. 5312-84 du code des transports prévoit désormais un mécanisme supplétif de mise en œuvre des dispositions de l’article L. 2122-9 du CGPPP, lorsque les parties à la convention de terminal n’ont ni utilisé la possibilité prévue à l’article L. 5312-4-1 du code des transports, ni encadré la mise en œuvre de l’article L. 2122-9 du CGPPP.
Dans cette hypothèse, le GPM sera alors tenu d’informer le titulaire de son choix de renoncer ou non à la démolition des ouvrages constructions et installations, dans un délai « tenant compte de la durée de la convention, de la nature des ouvrages et de la difficulté de leur éventuelle démolition »[9]. Il s’agit donc d’un mécanisme plus protecteur du titulaire de la convention de terminal que la seule application du droit commun de l’article L.2122-9 du CGPPP.
7.- Modalités de conclusion des concessions portant sur l’exploitation d’un terminal – L’article L. 5312-14-1 du code des transports soumet logiquement les concessions portant sur l’exploitation de terminaux aux dispositions du code de la commande publique relatives aux contrats de concession, à l’exception de l’obligation de prévoir dans le contrat les tarifs à la charge des usagers, et des règles relatives à la mise à disposition du public des données essentielles du contrat.
L’article R. 5312-85 du code des transports en tire désormais les conséquences au niveau réglementaire, en prévoyant l’application des dispositions de la troisième partie de la partie réglementaire du code de la commande publique – relative aux contrats de concessions –, à l’exception de l’article R. 3131-1 du code de la commande publique, qui garantit au public un « accès libre, direct et complet aux données essentielles du contrat de concession » portant sur sa passation, son contenu, et son exécution, notamment sa modification.
8.- Régime des droit réels conférés sur les ouvrages mis à disposition du titulaire – L’article R. 5312-86 du code des transports rend applicables aux droits réels conférés aux titulaires des conventions et concessions de terminal sur les ouvrages qu’ils ont financés par un droit d’entrée versé au GPM – droits réels prévus par le III de l’article L. 5312-14-1 dudit code –, les règles issues des articles R. 2122-11 à R. 2122-27 du CGPPP.
Il s’agit notamment des règles imposant l’agrément préalable de l’autorité compétente avant toute cession à un tiers du titre d’occupation et donc du droit réel conféré, celles qui fixent les modalités particulières selon lesquelles les créanciers du titulaire peuvent provoquer la cession du droit réel dont celui-ci bénéficie, ou encore celles relatives à la possibilité de recourir sous condition au mécanisme du crédit-bail pour financer les ouvrages prévus par le contrat.
[1] V. les articles 131 et 132 de la LOM. Sur ces dispositions, voir notamment B. de Sevin, Contrats d’exploitation des terminaux portuaires : Précisions apportées par la loi d’orientation des mobilités, le Droit Maritime Français n°821, février 2020.
[2] Art. L. 5312-14-1 du code des transports, I. et II.
[3] Il s’agit plus précisément de la sous-section 1 de la section 5 du chapitre II du titre Ier du livre III de la cinquième partie de la partie réglementaire du code des transports.
[4] V. sur ce point B. de Sevin, Contrats d’exploitation des terminaux portuaires : Précisions apportées par la loi d’orientation des mobilités, le Droit Maritime Français n°821, février 2020.
[5] Ancien article R. 5312-84 du code des transports.
[6] Article L. 2122-1-1 du CGPPP.
[7] Ancien article R. 5312-84 du code des transports.
[8] Dans certaines hypothèses, le GPM peut également les exploiter en régie (v. l’article L. 5312-4 du code des transports).
[9] Faute pour les actes réglementaires de pouvoir en principe disposer rétroactivement, ce mécanisme ne devrait a priori pas pouvoir s’appliquer aux conventions en cours.