Acte de communication au public et responsabilité des exploitants de plateformes en ligne : retour vers le passé
Précisions sur la notion de communication au public et retour sur les conditions de la responsabilité des exploitants de plateformes en ligne du fait de téléversements non-autorisés d’œuvres par les utilisateurs du service.
Par un arrêt rendu le 22 juin 2021[1] dans sa formation la plus solennelle, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) poursuit son travail de définition de la notion d’acte de communication au public. Ce faisant, elle aborde la question épineuse des conditions auxquelles un opérateur de plateforme peut prétendre à la qualification d’hébergeur, ou au contraire doit être qualifié d’éditeur ; l’enjeu est de taille car le régime de la responsabilité diffère. Aussi aborde-t-elle des questions liées à la loi applicable, ainsi qu’à la marge de manœuvre des États sur un mode particulier de preuve admissible.
La Cour lie et traite deux affaires (C-682/18 et C-683/18) portées devant elle sous forme de question préjudicielle par le juge allemand. Les faits sont similaires ; des utilisateurs de plateformes en ligne (l’une est une plateforme de vidéos, l’autre est une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers) téléversent des œuvres, objets protégés par le droit d’auteur, sans autorisation préalable des titulaires de droit. Ces derniers poursuivent en justice les exploitants des plateformes Youtube et Cyando, supports des téléversements litigieux.
Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale allemande) soumet un ensemble de questions à la Cour, parmi lesquelles celle des conditions auxquelles un exploitant de plateforme réalise un acte de communication au public et celle des conditions auxquelles il peut prétendre à la qualification d’hébergeur.
Notons d’emblée que l’affaire est examinée au regard du droit antérieur, applicable aux faits de l’espèce, et non pas au regard du droit nouveau tel qu’il résulte de la Directive 2019/790. Les faits avaient en effet eu lieu en 2008 et 2013, alors que la norme précitée n’est entrée en vigueur que le 7 juin 2019, soit postérieurement. C’est donc sur la base des Directives 2000/31[2], 2001/29[3], et 2004/48[4] qu’est rendue la décision.
Concernant la notion d’acte de communication au public, acte qui tombe sous le monopole du titulaire de droit, la Cour rappelle qu’elle recouvre deux éléments cumulatifs que sont, d’une part un acte de communication, d’autre part une communication à un public[5].
Des critères complémentaires permettent d’apprécier un acte de communication de manière individualisée, parmi lesquels :
- Le rôle incontournable, soit lorsque « en l’absence de cette intervention, les clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée »[6] ;
- Le rôle délibéré de l’opérateur, soit « le fait d’intervenir en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner accès au public accès à des œuvres protégées »[7].
Il en résulte que, par principe, l’exploitant n’effectue pas un acte de communication au public du fait des téléversements illicites des utilisateurs de son service, sauf à ce qu’il aille au-delà de son rôle de simple mise à disposition de la plateforme. Tel est notamment le cas[8] lorsque :
- L’exploitant intervient dans la création ou la sélection des contenus téléversés
- L’exploitant procède au visionnage ou au contrôle des contenus avant téléversement
- L’exploitant enjoint dans ses conditions d’utilisation de respecter le droit d’auteur
- L’exploitant ne déploie pas de mesures techniques visant à lutter de manière crédible et efficace aux contenus illicites (bouton de notification, logiciel de reconnaissance et vérification des contenus).
- L’exploitant promeut le partage du contenu illicite présent sur sa plateforme ou incite à leur téléversement sur la plateforme
- L’exploitant a un modèle économique qui repose sur les revenus publicitaires tirés des contenus illicites visionnés
Concernant la possibilité de bénéficier du régime d’irresponsabilité conditionnée des hébergeurs [9], la Cour rappelle le critère essentiel de rôle neutre : tel est le cas lorsque l’hébergeur se limite à un « rôle purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des connaissances ou de contrôle des contenus qu’il stocke ». Tel n’est pas le cas lorsque « ledit exploitant joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle de ces contenus »[10]. Cette connaissance doit être concrète, en ce sens qu’une simple connaissance abstraite par l’exploitant de l’utilisation de sa plateforme comme vecteur de mise en ligne illicite d’œuvre est insuffisante pour lui faire perdre le bénéfice de l’exonération de responsabilité. Notons que la commission d’un acte de communication au public par l’exploitant le prive de la possibilité d’être qualifié d’hébergeur.
Pour prouver la connaissance concrète de l’exploitant, et ainsi le priver du bénéfice de l’exonération, le titulaire de droit peut le notifier de la présence du contenu litigieux. L’exploitant est alors tenu de faire preuve de diligence et retirer le contenu promptement. La Cour précise qu’un État membre peut conditionner l’obtention d’injonctions judiciaires à la réalisation préalable d’une telle notification. Limite en est posée à ce que la réalisation de cette condition n’aboutisse pas à ce que la cessation effective de l’atteinte soit retardée et n’engendre des dommages disproportionnés au titulaire de droit[11].
Par Adrien Rouleau et l’équipe IP-IT du cabinet UGGC Avocats
[1] Affaires C-682/18 et C-683/18,
[2] Directive 2000/31 dite « commerce électronique »
[3] Directive 2001/29 dite « droit d’auteur dans la société de l’information »
[4] Directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle
[5] Point 66 de l’arrêt
[6] Point 67 de l’arrêt
[7] Point 68 de l’arrêt
[8] Points 92 et suivants de l’arrêt
[9] Article 14, 1° de la directive 2000/31
[10] Point 106 de l’arrêt
[11] Point 143 de l’arrêt