Un peu de visibilité sur les contextes excluant la conclusion d’une rupture conventionnelle
Par Marine Lamotte et Jennifer Carrel
Si le principe de la rupture conventionnelle est que « l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie »[1], il existe toutefois des situations dans lesquelles la conclusion d’une rupture conventionnelle est discutable voire exclue:
Comment s’y retrouver ?
- Situation conflictuelle
Aucune disposition légale n’interdit la conclusion d’une rupture conventionnelle en présence d’un différend existant entre l’employeur et le salarié dès lors qu’elle repose sur le consentement libre et éclairé des parties.
Pourtant, plusieurs cours d’appel ont annulé des conventions de ruptures conventionnelles au motif qu’elles étaient intervenues dans un contexte conflictuel[2] alors que d’autres considéraient au contraire que la rupture conventionnelle était possible peu important à cet égard que le litige soit antérieur ou concomitant à la signature de la convention de rupture[3].
La Cour de cassation a récemment tranché en décidant qu’un différend entre l’employeur et le salarié au moment de la conclusion de la convention de rupture n’affecte pas en lui-même la validité de cette convention, pour autant que la signature de cette rupture ne se soit pas accompagnée de pressions destinées à inciter le salarié à la signer, auquel cas cette convention serait nulle et requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse[4].
- Harcèlement moral
La Cour de cassation a également considéré qu’une rupture conventionnelle signée dans un contexte de harcèlement moral, caractérisait un vice de consentement justifiant l’annulation de la rupture conventionnelle[5].
Attention donc au contexte dans lequel est conclue la rupture conventionnelle, la frontière entre situation conflictuelle et harcèlement moral étant parfois difficile à évaluer, la rupture conventionnelle devant a priori être écartée lorsqu’un harcèlement moral a été invoqué et suivi d’un arrêt de travail, sauf à ce qu’aucun agissement de l’employeur ne soit susceptible de laisser présumer de tels faits de harcèlement[6].
- Maladie et périodes de suspension du contrat de travail
Dans les cas de suspension du contrat de travail ne bénéficiant d’aucune protection particulière (congé parental d’éducation, congé sabbatique ou encore congé sans solde), aucune disposition n’interdit la conclusion d’une rupture conventionnelle.
A l’inverse, la rupture conventionnelle ne peut pas être signée pendant les périodes de suspension du contrat au cours desquelles le salarié bénéficie d’une protection particulière telles que le congé de maternité ou encore en cas d’arrêt de travail résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle[7].
En revanche, la rupture conventionnelle peut valablement intervenir pendant une période de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie non professionnelle[8], avec les précautions qui s’imposent en cas de contexte de harcèlement moral…
- Difficultés économiques
Le code du travail prévoit expressément que la rupture conventionnelle ne peut être utilisée dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou d’un accord de GPEC[9]. Cela signifie-t-il pour autant que ce mode de rupture du contrat est interdit lorsque l’entreprise rencontre des difficultés économiques ?
L’administration répond par la négative en considérant que la rupture conventionnelle résulte de la seule volonté des parties au contrat de travail, sans qu’il y ait lieu d’en rechercher le motif[10].
En revanche, elle ne doit pas être utilisée pour contourner les règles applicables en cas de licenciements collectifs pour motif économique, ce qui exclut donc le recours massif à la rupture conventionnelle dans un contexte économique difficile. En particulier, le dépassement des seuils suivants constitue selon l’administration un indice de contournement par l’employeur des règles applicables :
– dix demandes d’homologation de ruptures conventionnelles sur une même période de trente jours ;
– au moins une demande sur une période de trois mois, faisant suite à dix demandes s’étant échelonnées sur la période de trois mois immédiatement antérieure ;
– au moins une demande au cours des trois premiers mois de l’année faisant suite à plus de dix-huit demandes au cours de l’année civile précédente.
Etant précisé que l’appréciation se fait globalement avec les licenciements pour motif économiques….
Au final, une bonne analyse du contexte dans lequel la rupture conventionnelle est négociée est impérative pour s’éviter les désagréments d’un contentieux de remise en cause !
[1] Article L.1237-11 du Code du travail
[2] CA Rennes, 27 février 2013, n° 11/06465, CA, 12 mars 2013, n° 12-01002
[3] CA Montpellier, 23 janvier 201, n° 11/07067, CA Pau, 14 février 2013, n° 11/00940
[4] Cass. soc. ; 23 mai 2013, n° 12-13865, Cass. soc. ; 26 juin 2013, n° 12-15208, Cass. soc. ; 3 juillet 2013, n° 12-19268
[5] Cass. soc. ; 30 janvier 2013, n° 11-22332
[6] Cass. soc. ; 30 septembre 2013, n° 12-19711
[7] Circ DGT n° 2009-5 du 17 mars 2009
[8] CA Bordeaux, 20 novembre 2012, n° 12-52
[9] Article L. 1237-16 du code du travail
[10] Inst DGT n° 02, 23 mars 2010