‘Qui dit contractuel, dit juste’ ? Entre la validation d’une clause d’élection de for de loi applicable et le contrôle d’une renonciation des époux à une compensation financière Tribunal de Grande Instance de Paris, Juge aux Affaires Familiales, Ordonnance de non conciliation du 18 mars 2013
Deux époux, tous les deux de nationalité australienne, se sont mariés en 2009 à Sydney, en faisant précéder leur union d’un contrat de mariage selon le droit australien, les deux époux ayant été assistés de leurs conseils respectifs au moment de la signature de ce contrat. Aux termes de ce contrat, l’obligation de pourvoir à l’entretien de l’autre époux pendant la durée du mariage et/ou après la rupture du mariage a été exclue. De surcroit, le contrat prévoit qu’il serait régi conformément à la législation australienne et que les parties se soumettraient à la compétence des tribunaux australiens.
Durant leur mariage, les époux s’installent à Paris, et l’épouse dépose une requête en divorce. Si l’épouse souhaitait que le juge français prononce le divorce, elle invoquait son incompétence relativement aux obligations alimentaires et financières entre époux, conformément aux dispositions du contrat de mariage australien.
Sans surprise, le juge français s’est déclaré compétent pour statuer sur le divorce des époux. Cependant, après avoir apprécié, au préalable et in concreto la mise en œuvre des dispositions du contrat au regard de la situation financière respective de chaque époux au jour de sa saisine, le juge a constaté la conformité du contrat de mariage à l’ordre public international français.
La présente décision est très instructive, puisqu’elle constitue sans doute l’une des premières validations d’une clause d’un contrat de mariage étranger où les époux avaient prévu en avance le juge compétent, et la loi applicable, pour régir les conséquences financières de leur divorce (I).
On est cependant encore loin d’une véritable révolution « copernicienne » tant il semble que certains « reflexes » du droit international privé restent ancrés dans le raisonnement suivi par le juge. En effet suivant la demande de l’époux défendeur, il s’oblige à vérifier la conformité des dispositions applicables du contrat sur les conséquences financières du divorce à l’ordre public international français.
On peut s’interroger sur la rigueur technique d’une telle démarche de la part d’un juge, dont la compétence en matière alimentaire avait été écartée par les parties. Son rôle devrait en principe se limiter à vérifier que la clause remplie bien les conditions posées par les textes applicables et en cas de réponse positive constater son incompétence et cela indépendamment de toute considération liée à l’ordre public international (II).
En matière de relations familiales, l’adage selon lequel « qui dit contractuel, dit juste » reste donc difficile à mettre en œuvre, la tentation des juges de s’immiscer, au moment de leur saisine, dans un contrôle des choix faits par les époux, étant manifeste.
I. La validation légitime par le juge français d’une clause attributive de juridiction et de loi applicable contenue dans un contrat de mariage étranger
Validation de la clause d’élection de for – Dans les présentes circonstances, le couple de nationalité australienne qui divorce en France a désigné conventionnellement, dans son contrat de mariage, le juge compétent pour statuer sur les conséquences financières de leur séparation ainsi que sur la loi applicable à ces questions.
Si la compétence du juge français pour statuer sur le divorce est fondée sur les dispositions du Règlement Bruxelles II Bis, la compétence internationale du juge français pour statuer sur les conséquences financières du divorce est fondée sur le nouveau Règlement n°4/2009 sur les obligations alimentaires.
C’est donc à juste titre que le Juge aux Affaires Familiales, dans la décision commentée, rappelle les termes de l’article de 4 de ce Règlement, relatif à l’élection de for, qui dispose que « 1. Les parties peuvent convenir que la juridiction ou les juridictions ci-après d’un État membre sont compétentes pour régler les différends en matière d’obligations alimentaires nés ou à naître entre elles (…) », rappelant également que « la compétence attribuée par convention est exclusive, sauf si les parties en disposent autrement » et que la « convention relative à l’élection de for est conclue par écrit ».
Dans les présentes circonstances, les époux avaient choisi la compétence des juridictions australiennes, cette option étant conforme aux différents choix offerts par le Règlement sur les obligations alimentaires dans la mesure où ils avaient au moment de cette élection leur résidence habituelle en Australie et ils avaient également la nationalité australienne. Au demeurant, cette désignation respectait les conditions de forme imposées par le Règlement.
C’est donc sans surprise que le Juge aux Affaires Familiales, au visa de l’article 4 susvisé, constate son incompétence du fait de la clause d’élection de juridiction contenue dans le contrat de mariage.
Une incertitude demeurait cependant dans la mesure où le Règlement sur les obligations alimentaires est entré en vigueur le 18 juin 2011 et ses dispositions transitoires (contenues à l’article 75) n’envisagent que les procédures engagées avant ou après son entrée en vigueur. Le sort des clauses d’élection de juridictions qui auraient pu être conclues avant son entrée en vigueur n’est pas envisagé.
Ainsi, le Juge aux Affaires Familiales, tout en évitant un débat sur la validité des clauses conclues avant le 18 juin 2011 au regard du Règlement sur les obligations alimentaires, rappelle simplement que ces clauses étaient admises en cette matière même avant le 18 juin 2011.
Ainsi, que ce soit en application du Règlement sur les obligations alimentaires ou du droit applicable avant l’entrée en vigueur de celui-ci, la clause d’élection de juridiction au profit des juridictions australiennes pour connaître des conséquences financières du divorce était valable et s’imposait au Juge aux Affaires Familiales comme à l’époux défendeur.
Validation de la clause de loi applicable – S’agissant de la loi applicable aux obligations alimentaires, la question ne devrait pas se poser a priori puisque le Juge aux Affaires Familiales n’est pas internationalement compétent en vertu de la clause d’élection de juridiction figurant dans le contrat de mariage signé par les époux. Le Juge aux Affaires Familiales précise cependant que le contrat contient également une clause d’élection de loi applicable pour les obligations alimentaires et les conséquences financières au profit du droit australien.
Elle note que cette clause est parfaitement valable en application de l’article 8 du Protocole de La Haye du 27 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires qui dispose que le créancier et le débiteur d’aliments peuvent, à tout moment, désigner une loi pour régir une obligation alimentaire, un tel accord devant être établi par écrit.
A l’aune de cette décision, on pourrait donc simplement conclure que les Etats membres accordent aujourd’hui aux époux la possibilité de choisir le for ainsi que la loi applicable aux conséquences financières de leur divorce, et l’on ne pourrait que s’en féliciter. Avec une telle possibilité, une forme de justice alimentaire est instaurée, dans la mesure où l’option inégalitaire de compétence et de loi applicable disparait.
II. Le contrôle par le juge français d’une clause de renonciation à des aliments contenue dans un contrat de mariage étranger
Un contrôle in concreto de la renonciation à des aliments en application d’un droit étranger – Le contrat de mariage contenait en effet une clause de renonciation de chaque époux à solliciter de la part de l’autre époux des demandes financières ayant pour objet de pourvoir à son entretien, que ce soit pendant la durée du mariage et/ou après la rupture du mariage.
Pour contourner cette disposition du contrat, et solliciter du juge qu’il statue sur ses demandes financières, l’époux défendeur invoquait les dispositions de l’article 255 du Code civil, notamment sur sa demande de pension alimentaire au titre du devoir de secours, les dispositions du contrat étant à ce titre, selon lui, contraires à l’ordre public français.
Au premier abord, il pourrait sembler en effet légitime pour le juge saisi de se demander au nom de quel principe, les époux pourraient se défaire de l’obligation de l’entretien, tant durant le mariage qu’après sa rupture ?
En effet, en réponse à l’argument soulevé par l’époux défendeur d’une contrariété des dispositions du contrat australien avec l’ordre public international français, le Juge aux Affaires Familiales constate que l’absence totale d’obligation d’entretien entre les époux (tant durant le mariage qu’après sa rupture) est prévue de façon totalement égalitaire et réciproque. Surtout, elle procède à une appréciation, in concreto, en évaluant la situation financière et patrimoniale du couple au jour de sa saisine, pour admettre la validité de la clause prévoyant l’absence d’obligation d’entretien entre les époux.
Un contrôle inutile de la renonciation à des aliments en application d’un droit étranger? Si le recours à l’exception d’ordre public international peut apparaître comme un « reflexe » attendu dans un contentieux familial international complexe, le raisonnement suivi ici par le juge français nous semble critiquable et contraire à la logique de la jurisprudence et des textes européens susvisés.
En effet, selon les règles procédurales du Règlement sur les obligations alimentaires, le premier effet produit par la clause attributive de juridiction est la compétence exclusive du tribunal élu. Ainsi, le juge saisi n’a pas à vérifier si la loi qui sera par la suite appliquée par une juridiction compétente est conforme ou non à son ordre public.
Le recours à l’ordre public international est susceptible d’intervenir au stade de la reconnaissance en France du jugement étranger. Mais dès lors qu’un autre juge est compétent et que le juge français ne peut exercer une compétence concurrente, la recherche de la conformité de loi appliquée à l’ordre public international français, semble plus discutable.
Et ce d’autant que s’agissant d’une clause ayant pour effet de conduire à une renonciation à un droit à des aliments, le Protocole de La Haye et en particulier les articles 8 (4) et 8(5) susvisés précisent clairement le modus operandi à suivre pour apprécier la validité et l’opposabilité de cette clause aux époux. Dans les présentes circonstances, on relèvera d’ailleurs, ce qui n’a pas été contesté par l’époux défendeur, que chaque partie avait été pleinement informée par son conseil respectif au moment de la signature du contrat de mariage.
En conséquence, il n’appartenait pas au juge français d’apprécier in concreto la situation patrimoniale des époux. Il suffisait en principe que l’épouse prouve l’existence d’une clause attributive de juridiction valable, pour que le juge français accepte son dessaisissement pour statuer sur les obligations alimentaires et il appartenait ensuite au juge australien de se prononcer sur l’application de la clause prévoyant une renonciation des époux à une obligation d’entretien, au regard du droit australien.
Accepter la démarche suivie dans la présente décision apparaît donc comme dangereuse, dans la mesure où elle permettrait ainsi à un époux, qui a envie de se défaire de son engagement conventionnel, librement choisi, de se réfugier derrière le bouclier de l’ordre public et par la même de nuire à l’objectif recherché par le législateur européen de procurer aux époux un avantage de prévisibilité et de sécurité juridique.
Ceci étant, il nous semble également traduire un réflexe traditionnel du Juge aux Affaires Familiales, dès lors que l’un des époux renonce à ses droits. Mais, il faut dans un contexte international savoir faire confiance aux juridictions étrangères et en l’espèce au juge australien, qui est le seul compétent pour apprécier la conformité de la clause litigieuse du contrat de mariage.