Détermination du prix des promesses : le revirement qu’on attendait plus ! (Cour de cassation 11 mars 2014)

12/03/2014

Enfin ! C’est par ce mot que les praticiens, les acteurs économiques (et notamment ceux du capital investissement), et plus généralement toute personne soucieuse de sécurité juridique, vont sans nul doute accueillir cette décision majeure de la Cour de cassation en matière de détermination du prix dans les promesses unilatérales de vente et de champ d’application de l’article 1843-4 du code civil  :  « Attendu que les dispositions de ce texte, qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ; » (arrêt du 11 mars 2014, 11-26.915, voir note 1 pour le lien sur le site de la Cour de cassation)

Après plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation qui avaient étendu le domaine d’application de l’article 1843-4 du Code civil, la plupart des praticiens et une grande partie de la doctrine s’étaient émus du fait qu’il était devenu possible à un associé sortant d’avoir recours à un tiers expert sur le fondement dudit article pour faire déterminer la valeur de ses droits sociaux dans le cadre d’une cession, et cela indépendamment de toute stipulation statutaire ou contractuelle (voir notamment Cass com 4 décembre 2012, n°10-16.280, Cass com 24 novembre 2009 n°08-21369).

Cette possibilité apparaissait d’autant plus dangereuse sur le plan de la sécurité juridique que la Cour de cassation avait clairement précisé que le tiers expert nommé dans le cadre de l’article 1843-4 n’avait pas à tenir compte des méthodes définies par les parties pour déterminer le prix. Cela faisait évidemment peser un risque très important sur l’ensemble des promesses de cession de titres et notamment des promesses conclues dans le cadre de ce que la pratique désigne sous le vocable de « management package » (promesse par le dirigeant/manager de céder ses titres en cas de cessation de ses fonctions avec des modalités de calcul différenciées selon que l’on se trouve en cas de départ fautif ou non).

Alors qu’une réforme législative est sur le point d’intervenir qui obligera l’expert à tenir compte des stipulations statutaires ou extrastatutaires prévoyant une méthode de valorisation lorsqu’il détermine la valeur des droits sociaux de la cession ou du rachat forcée (modification à intervenir dans l’attente d’une ordonnance gouvernementale à prendre en vertu de la loi n°2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises), la Cour de cassation opère un changement de cap dans son arrêt du 11 mars 2014, en indiquant clairement que l’article 1843-4 n’a pas à intervenir dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé.

Pour bien apprécier toute la portée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, il est intéressant de noter que l’arrêt de la Cour d’appel cassé par la Cour de cassation était solidement motivé, et reprenait, de manière synthétique, ce qui apparaissait être devenu le « droit positif » sur le sujet.

Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble avait décidé que la valeur des actions cédées par M. X…, en application de la promesse de vente contenue dans une convention d’actionnaires du 7 avril 2004, devait être fixée à dire d’expert selon la procédure instituée par l’article 1843-4 du code civil car « ce texte, d’ordre public, est d’application générale en cas de cession ou de rachat forcé prévu par la loi ou les statuts, mais également par des pactes extra-statutaires » ;  le même arrêt ajoutait « qu’il a donc vocation à régir la situation créée par l’article 3 de la convention d’actionnaires conclue par l’ensemble des associés le jour même de l’adoption des statuts, avec lesquels elle fait corps » et « qu’en vertu de la règle impérative posée par l’article 1843-4 du code civil, nul associé ne peut être contraint de céder ses droits sociaux sans une juste indemnisation arbitrée à dire d’expert ». Il en déduisait que « la clause des statuts ou d’un pacte extra-statutaire, qui fixe par avance la valeur des parts ou des actions rachetées, ne peut prévaloir sur la règle légale lorsque, comme en l’espèce, l’associé évincé en conteste l’application ».

Une grande partie de ces arguments tombent avec l’arrêt du 11 mars 2014. Le prix déterminé par les parties à la promesse de vente (en l’espèce, la promesse prévoyait une cession des titres à leur valeur nominale) devra donc recevoir application.

Par contre, on peut s’interroger sur le sort des clauses statutaires prévoyant la cession forcée de titres (ou leur rachat) : la première partie de l’attendu de principe énoncé par la Cour de cassation (« les dispositions de ce texte, qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant,…) semble laisser entendre que l’article 1843-4 doit continuer d’être impérativement appliqué aux clauses statutaires prévoyant le rachat ou la cession des titres d’associés (Note 2). La distinction opérée par la Cour de cassation reposerait alors sur le caractère imposé des statuts à l’associé cédant (qui rendrait la protection de l’article 1843-4  nécessaire) en comparaison du caractère volontaire et librement consenti de la signature d’une promesse unilatérale.

Cela signifie-t-il pour autant la fin de l’application de l’article 1843-4 dans les promesses ? Cela rend-il la modification législative à intervenir superflue ?

La réponse est doublement négative. D’une part, les parties ont pu faire référence volontairement à l’article 1843-4 du code civil pour organiser la désignation d’un tiers chargé de déterminé le prix en cas de désaccord des parties sur l’application d’une formule contractuelle, auquel cas l’expert désigné n’aurait toujours pas (en considération de la jurisprudence actuelle de la cour de cassation) à tenir compte des formules de détermination de prix fixées par les parties…

D’autre part, les statuts peuvent prévoir des formules de détermination du prix par exemple en cas d’exclusion. Cela rend donc souhaitable la précision selon laquelle le tiers expert nommé sur le fondement de l’article 1843- du code civil doit impérativement tenir compte des méthodes de calcul fixés contractuellement ou statutairement (Note 3).

On se rappellera enfin qu’il existe une autre piste pour éviter l’application de l’article 1843-4 du code civil en cas de désaccord des parties sur l’application d’une formule de prix. Elle consiste à ne se référer qu’au seul article 1592 du code civil pour prévoir la désignation du tiers expert en charge de la détermination le prix.  Dans le cadre de cet article, le tiers intervient comme un simple mandataire des parties, et il est donc tenu d’appliquer la formule prévue par les parties. Cependant, la piste de l’article 1592 présente aussi des risques importants puisque si le tiers désigné refuse sa mission ou ne peut l’accomplir, la promesse devient tout simplement nulle pour indétermination du prix. Il est certes possible de se prémunir contre ce risque (désignation d’un suppléant, désignation d’un organisme indépendant en vue de désigner un tiers expert…) mais aucune solution ne semble véritablement sure à 100%. D’où l’intérêt de la réforme à venir sur l’article 1843-4 du Code civil pour sécuriser l’ensemble des promesses…

Samuel Schmidt – avocat au barreau de Paris (UGGC Avocats)

Note 1 : arrêt du 11 mars 2014  

http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_commerciale_financiere_economique_574/263_11_28615.html

Note 2 : on réservera le cas de la SAS qui permet aux associés d’exclure l’application de l’article 1843-4 pour les cas de cession forcée, d’exclusion en cas de changement de contrôle et d’agrément : voir article L. 227-18 du Code de commerce.

Note 3 : la question se pose de savoir si la réforme ira jusqu’à imposer la prise en compte des formules de prix statutairement prévus y compris dans les cas où la loi prévoit le recours obligatoire à l’article 1843-4 du code civil comme par exemple en cas de rachat forcé des titres suite à un refus d’agrément dans les SARL et les SA.