Mesures d’instruction in futurum : quelle compétence ?
Quel juge est territorialement compétent pour ordonner des mesures d’instruction in futurum en présence d’une clause compromissoire ou d’une clause attributive de juridiction ?
Régies par l’article 145 du code de procédure civile, les mesures d’instruction in futurum offrent à une partie la possibilité – très précieuse dans certaines affaires – de collecter des preuves en amont d’un éventuel litige, sous réserve d’être capable de justifier d’un motif légitime.
Opportunes avant d’amorcer une procédure, ces mesures font l’objet de nombreux débats doctrinaux portant notamment sur la compétence territoriale du juge pouvant les ordonner.
Par deux récents arrêts publiés au bulletin (Cass. 1e civ., 23 juin 2021, n°19-13.350 ; Cass. 2e civ, 22 octobre 2020, n°19-14.849), la Cour de cassation lève les doutes qui existaient en présence d’une convention d’arbitrage (I) et d’une clause attributive de juridiction (II).
- Compétence territoriale du juge statuant sur une demande de mesures d’instruction in futurum en présence d’une clause compromissoire
Si l’article 1449 du code de procédure civile affirme que l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction étatique aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire, il reste silencieux sur la question du juge territorialement compétent pour accueillir une telle demande.
C’est sur le fondement des articles 42, 46, 145 et 493 du code de procédure civile que la jurisprudence considère depuis longtemps que le demandeur dispose d’une option de compétence entre « le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées, sans que la partie requérante puisse se prévaloir d’une clause compromissoire » [1].
Mais comment déterminer le tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond en présence d’une clause compromissoire ?
C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans son arrêt commenté du 23 juin 2021 [2] en jugeant que le juge d’appui n’est pas assimilable au juge du fond.
Dans cette affaire, la Haute juridiction était invitée à dire si la juridiction dans le ressort de laquelle devait siéger le tribunal arbitral pouvait être considérée comme le juge « susceptible de connaître de l’instance au fond » et ainsi être territorialement compétente pour se prononcer sur la mise en œuvre de mesures d’instruction.
La Cour de cassation a relevé qu’aucune des quatre sociétés défenderesses à la potentielle future instance n’avait son siège social dans le ressort du siège de l’arbitrage et qu’aucune mesure d’instruction ne devait être réalisé dans ce même ressort. Elle en a déduit que le président du tribunal du siège de l’arbitrage n’était pas compétent. Ce faisant, elle a considéré que le juge du siège de l’arbitrage ne pouvait être assimilé au juge du fond.
La Cour de cassation a ainsi jugé que :
« En présence d’une telle clause [clause compromissoire], le tribunal étatique susceptible de connaître de l’instance au fond est celui auquel le différend serait soumis si les parties, comme elles en ont la faculté, ne se prévalaient pas de la convention d’arbitrage ».
Ainsi, pour les juges de la première chambre civile, les effets d’une convention d’arbitrage sur la compétence territoriale sont neutralisés durant la phase pré-arbitrale.
Autrement dit, en amont du procès au fond devant le tribunal arbitral, les parties qui sollicitent des mesures d’instruction in futurum, doivent faire abstraction de la clause compromissoire stipulée dans un contrat conclu avec un/des défendeur(s) futur(s) à l’arbitrage.
Bien que dans cet arrêt les mesures d’instruction aient été demandées par voie de requête, la solution retenue par la Cour de cassation nous apparait parfaitement transposable en matière de référé.
Quid à présent de la compétence territoriale du juge lorsque le contrat stipule une clause attributive de juridiction et non plus une clause compromissoire
2. Compétence territoriale du juge statuant sur une demande de mesures d’instruction in futurum en présence d’une clause attributive de compétence
La règle de compétence territoriale d’origine jurisprudentielle applicable aux demandes fondées sur l’article 145 du code de procédure civile ci-dessus rappelée demeure parfaitement applicable en présence d’une clause attributive de juridiction.
Restait néanmoins à déterminer quel tribunal est « susceptible de connaître l’instance au fond » : celui désigné par les règles du code de procédure civile ou celui désigné par les parties ?
La Cour de cassation a d’ores et déjà admis que la clause d’electio juris était inopposable au requérantqui sollicite, en amont du contentieux au fond, une mesure d’instruction notamment pour éviter d’avoir à se prononcer sur la validité de cette clause et sur son applicabilité au litige futur [3].
Dans son arrêt du 22 octobre 2020 [4], la Cour de cassation va plus loin en jugeant que le requérant ne pouvait se prévaloir de la clause attributive de juridiction au stade des mesures in futurum au motif notamment que les parties au futur potentiel procès n’étaient pas identifiées avec certitude.
En l’espèce, sollicitant la réalisation de mesures d’instruction in futurum, le requérant avait saisi le président de la juridiction qu’il estimait territorialement compétente en vertu d’une clause attributive de juridiction.
L’ordonnance qui avait fait droit à la demande fut rétractée au motif qu’aucune des mesures sollicitées n’avait été accomplie dans le ressort de la juridiction saisie à l’origine et que la clause d’electio juris ne pouvait être invoquée par le requérant, notamment en raison de son effet relatif.
La Cour de cassation valide cette analyse et juge que le requérant ne peut se prévaloir de cette clause pour justifier la compétence de la juridiction saisie d’une demande de mesures d’instruction in futurum.
Par Clémence Lemétais d’Ormesson et Myriam Obadia pour le département Contentieux & Arbitrage.
[1] Cass. 2e civ., 18 novembre 1992, n° 91- 16.447; Cass. 2e civ., 15 oct. 2015, n° 14-17.564 et n°14-25.654 :3
[2] Cass. 1e civ., 23 juin 2021, n°19-13.350
[3] Cass. com., 16 février 2016, n°14-25.340
[4] Cass. 2e civ, 22 octobre 2020, n°19-14.849