Parfois négligés, les aspects juridiques sont pourtant essentiels lorsque vous montez votre entreprise. Avez-vous pensé à vous protéger en cas de rachat ? Avez-vous défini un pacte d’associés ? Ou encore, avez-vous déposé votre marque ? On fait le point avec Anne-Marie Pecoraro et Corinne Khayat, avocates associées spécialisées en propriété intellectuelle au sein du cabinet UGGC Avocats.
Pourquoi est-il important de devancer les questions juridiques ?
« Tout simplement car il n’est pas possible de construire une maison solide sans de bonnes fondations ! Il faut bien comprendre que l’accompagnement juridique ne doit pas être vu comme un coût, mais comme un investissement », lance Corinne Khayat. « Il est essentiel de démontrer que tout est en ordre et structuré dès la création de l’entreprise pour que les acteurs avec lesquels vous allez contracter puissent avoir confiance. Certains entrepreneurs préfèrent, pour des raisons de coûts, s’occuper de ces aspects juridiques dans un second temps, mais parfois il est malheureusement trop tard. Si par exemple, vous voulez faire entrer des investisseurs, ils réaliseront forcément un audit de votre société pour s’assurer que tout est en ordre », ajoute Anne-Marie Pecoraro.
L’avocat, un conseiller stratégique
Expert-comptable, fiscaliste, avocat : vous devez nouer des relations de confiance avec ces trois acteurs clefs pour votre future entreprise. Pour nos interlocutrices, l’avocat doit être plus qu’un simple juriste, mais bel et bien un conseiller, un partenaire, à même de vous guider dans les différents aspects stratégiques de votre entreprise. « L’avocat est là pour vous épauler en amont, et pas uniquement pour éponger les ennuis », affirment nos interlocutrices. De plus, il existe des tarifs spéciaux pour les startuppers.
Et maintenant, entrons dans le vif du sujet !
1. Choisir son cadre juridique
Si vous montez une startup, vous devrez immédiatement choisir un cadre juridique pour créer votre société. Actuellement, la SAS et, dans une moindre mesure la SARL, sont les formes les plus plébiscitées. « L’avantage des sociétés est qu’elles permettent de mettre un écran entre votre patrimoine personnel et celui de l’entreprise », affirme Corinne Khayat. Vous choisirez le type de structure en fonction de votre champ d’activités. A noter que si vous êtes marié et en séparation de biens, votre patrimoine personnel est automatiquement à l’abri. Si tel n’est pas le cas, mentionnez-le à votre avocat. Vous pouvez aussi en informer votre fiscaliste. A savoir : les entreprises à vocation de recherche bénéficient actuellement de bons crédits d’impôts. Un autre point à voir avec le fiscaliste.
2. Rédiger un pacte d’associés
Il y a de grandes chances pour que vous montiez votre entreprise avec un.e associé.e, ou que vous envisagiez cela pour la suite. « Au début, tout est rose, mais il est essentiel de définir les règles du jeu et d’anticiper les solutions à envisager en cas de désaccords, afin d’éviter toute difficulté pouvant aller jusqu’à la liquidation de la société », lance Anne-Marie Pecoraro. Pour cela, un outil : le pacte d’associés ! Celuici permet d’organiser, parallèlement aux statuts et de manière plus confidentielle, les relations entre associés. Par exemple : qui est le dirigeant de la société ? Quels sont ses pouvoirs et jusqu’à quel plafond de dépenses peut-il agir seul ? Peut-il céder la technologie ? « Même si on est seul, c’est vraiment important de penser à tous ces aspects le plus tôt possible », soutiennent les avocates. Il faut aussi poser la question de l’entrée au capital de nouveaux associés, en prévoyant des « garde-fous » comme une clause d’agrément ou de préemption. Les conséquences d’une cession de titres peuvent également être envisagées. Ainsi, « si l’un des deux vend ses parts, il peut être prévu un droit de sortie conjointe totale ou proportionnelle permettant aux autres associés leur rachat de leurs titres », poursuivent nos interlocutrices. Autre point concernant la répartition du capital : si par exemple elle est à 50/50 et que les décisions se prennent à la majorité, il peut il y avoir des points de blocage. « Il faut anticiper l’organisation de l’actionnariat et des règles de la majorité ainsi que, le cas échéant, les solutions permettant de débloquer ces situations », poursuivent-elles.
3. Se munir d’un accord de confidentialité
Au commencement, vous aviez une idée. Malheureusement, de nombreuses idées qui ne sont pas formalisées et ne présentent pas d’originalité ne peuvent pas être protégées. C’est pourquoi les avocates vous recommandent dans tous les cas de rédiger un accord de confidentialité, qui permettra d’interdire à votre partenaire de divulguer les informations confidentielles échangées concernant en particulier votre projet.
4. Déterminer l’objet social de l’entreprise
Lorsque vous allez monter votre entreprise, vous allez obtenir un KBIS et un code APE. En fonction de celui-ci, vous aurez le droit d’établir ou non certains contrats (par exemple des contrats intermittents), mais aussi de bénéficier de certaines aides, ou devoir appliquer telle ou telle convention collective. « Pensez donc bien à anticiper la
classification administrative de votre entreprise à travers son objet social afin qu’il couvre bien tous les domaines de votre activité », expliquent les avocates.
5. Adopter une stratégie de dépôts
Signes, dénominations, nom de domaine… tout cela vous permet de construire le capital des actifs incorporels de votre entreprise. Il est possible que vous ayez déjà de très bonnes idées pour identifier votre entreprise, mais peut-être que celles-ci sont déjà prises par d’autres sociétés. Ne déposez pas non plus plusieurs dénominations inutilement, car des obligations sont également attachées au dépôt de marque. « La stratégie de dépôt est fondamentale. Vous devez déjà connaître vos objectifs à 5 ans, car la marque telle que déposée doit être exploitée dans ce délai pour éviter une déchéance. Cela peut avoir un coût terrible en termes d’image mais aussi financier », affirme Anne-Marie Pecoraro. C’est la même chose pour un nom de domaine ou des noms de produits. L’INPI peut vous livrer des rapports, et votre avocat est là pour rechercher les antériorités liées à ces noms. « Si une autre société a le même nom, l‘avocat pourra vous dire quel pourcentage de risques vous prenez si vous décidez de conserver celui-ci. Il pourra vous conseiller de changer la couleur du logo par exemple pour que vous puissiez vous différencier », poursuit-elle. En vous mettant en ordre légalement, vous rassurerez une fois encore les potentiels investisseurs qui auditeront ces aspects juridiques. Ils vérifieront si vous avez bien déposé votre marque, si ces marques sont protégées, surveillées, si leurs exploitations peuvent être démontrées par des dossiers d’exploitation bien tenu, si les noms de domaines sont correctement détenus et maîtrisés.
6. Penser aux actifs immatériels
Si tous les actifs immatériels ne peuvent pas être protégés par le droit d’auteur, plusieurs choses peuvent être faites pour protéger stratégiquement vos actifs. Par exemple, en France, le dépôt de Copyright n’est pas requis, mais il est utile de s’assurer une date certaine à laquelle on peut se prévaloir d’une création, et cela peut aussi constituer une présomption montrant que l’on a une revendication sur la création. Il existe aussi des modalités pour chaque secteur. Par exemple, il est possible de déposer un logiciel à l’Agence de protection des programmes. « Cela n’a rien d’obligatoire, mais permet d’avoir une date. On peut aussi déposer une enveloppe soleau ou un pli chez un notaire ou un huissier pour prendre date sur une idée, un concept », précisent les avocates.
7. Vérifier que l’on a bien les droits de ce que l’on exploite
Une musique dans un générique, la photo d’une banque d’images… il est très important que vous soyez certain de pouvoir utiliser le matériel qui vous sert à communiquer. « Si vous faites travailler un photographe, ou un indépendant pour un slogan, établissez un contrat de confirmation de cession vous assurant que vous pourrez exploiter son travail. C’est important aussi d’y penser dans les contrats de travail, même ceux des stagiaires », conseillent les spécialistes.
8. Penser aux conditions générales et au RGPD
Dans votre check-list, n’oubliez pas non plus les conditions générales de votre entreprise (utilisation, vente, annulation etc…). Si vous faites du e-commerce, il est extrêmement important de vous tenir au courant des changements dans ce secteur. Enfin, vous ne pourrez pas faire l’économie d’une réflexion autour de votre politique RGPD. « Par exemple, si l’entreprise détient ou utilise une base de données clients non conforme au RGPD elle ne vaudra rien, à part des ennuis. Il est donc utile de se former, de se faire accompagner, de se doter des bonnes mentions de confidentialité, et de s’équiper au niveau cybersécurité », concluent les avocates.
Paulina Jonquères d’Oriola